50.000.000 Elvis Fans Can't Be Wrong

Avant Elvis, il n’y avait rien’ déclara un jour John Lennon, saluant le rôle essentiel qu’a joué le ‘King’ pour faire entrer le rock & roll dans la culture populaire mais aussi pour souligner le désert musical qui s‘offrait aux adolescents des années cinquante. Une société frileuse, encore meurtrie par les séquelles de la seconde guerre mondiale, qui va se réfugier de plus en plus dans le puritanisme et la bonne morale. Rien de bien folichon donc pour toute une génération de ‘teenagers’ bientôt appelés ‘baby-boomers’ qui recherchent autre chose de plus stimulant. Cette nouvelle génération va donc se mettre en quête de nouvelles idoles. Tout d’abord au travers du cinéma. Le premier à incarner ce changement à venir est probablement Marlon Brando, qui crève l’écran en 1953 dans « L’équipée sauvage » (« The Wild One » en VO). Chevauchant sa Triumph Thunderbird dans sa tenue de cuir perfecto, le personnage de Johnny Strabler va devenir une icône de la culture rock. Et influencer toute une jeunesse qui se retrouve dans la colère de Johnny. A commencer par un certain James Dean (qui au passage se procurera la même moto que Brando dans le film) dont le rôle de Jim Stark dans « La fureur de vivre » (« Rebel Without a Cause » en VO) qui se rebelle contre ses parents et la bourgeoisie, va devenir un des acteurs les plus appréciés de la jeunesse américaine. Son destin tragique conclu sur la route de Salinas au volant de sa Porsche Spider ne fera que renforcer le mythe. Côté musique, l’affaire s’annonce plus difficile. Les Bing Crosby, Dean Martin ou Perry Como chers à papa et maman sont catalogués ringards par leurs enfants. Il existe pourtant un courant parallèle qui trouve grâce aux oreilles des plus jeunes : le rythm & blues. Mais ses plus fidèles représentants que sont Johnny Otis, Big Mama Thornton, Muddy Waters ou Big Joe Turner peinent à percer. Leurs enregistrements ne touchent que le marché afro-américain et les radios conservatrices du pays ne les diffusent pas. Une aubaine pour les chanteurs blancs qui vont flairer le bon filon. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent ou Jerry Lee Lewis incarneront les pionniers du rock & roll. Et si Bill Haley et son Crazy Man, Crazy (1953) est souvent considéré comme le premier artiste à pondre un morceau de rock (voir la rubrique « anec-doses » ci-dessous), Elvis Presley est véritablement celui qui incarna universellement et pour la postérité le visage (et le corps) du rock & roll. Le 5 juillet 1954, un jeune sudiste de 19 ans entre au Sun Studios de Memphis pour enregistrer That‘s All Right, une reprise d’Arthur Crudup. Le reste appartient à l’Histoire.

Marlon Brando, James Dean

A Star is Born :

Le 28 janvier 1956, c’est la toute première apparition d’Elvis Presley à la télévision américaine. Sur le plateau CBS du « Stage Show » présenté par Jack Carter, le public découvre la voix et le déhanché de ce kid de Memphis qui, accompagné de Scotty Moore (guitare), Bill Black (contrebasse) et D.J. Fontana (batterie), interprète Shake, Rattle & Roll (Big Joe Turner) et I Got a Woman (Ray Charles). Cette année 1956 marque donc le début de l’ère Presley qui s’invite dans des millions de foyers à travers le pays en enchaînant les passages sur le petit écran. Il a rompu son contrat avec Sun Records le 21 novembre 1955 quand le Colonel Parker réussit à le faire signer chez RCA Records pour un montant sans précédent de 40.000 dollars. Elvis attirait la convoitise de tous les grands labels du pays et Sam Phillips, le boss de Sun ne pouvait plus garder son poulain. Ce n’est pas seulement l’altruisme qui a poussé le petit patron de Memphis à vendre le contrat du chanteur. Phillips avait besoin d’argent pour continuer à faire vivre Sun Records qui était alors au bord de la faillite. Malgré ses liens avec RCA, Parker a reçu des offres d’autres label tels que Columbia, Mercury et Atlantic Records. Ahmet Ertegun, passionné par la musique noire, voyait en Elvis un artiste aux mêmes racines que ses protégés Ray Charles ou The Drifters. Mais le deal s’arrêta à 25.000 billets et RCA remporta la mise. Quant à Sun Records, Sam Phillips aura peut-être perdu le plus grand artiste de sa génération, mais a pu se consoler avec Carl Perkins qui sort Blue Suede Shoes sur le label en janvier 1956. Le titre s’écoulera à des millions d’exemplaires. Plus tard, Jerry Lee Lewis et Johnny Cash continueront à faire briller les rayons de Sun Records.

Le premier album d'Elvis Presley (13 mars 1956) et sa pochette iconique sacralise l'avènement du rock & roll dont la guitare est l'instrument de prédilection. The Clash en reprendront 'violemment' les codes en 1979 avec la sortie de 'London Calling'.

La fructueuse collaboration entre Elvis et sa nouvelle maison de disques démarre fort dès le début de l’année 1956 avec la sortie de Heartbreak Hotel/I Was the One (21 janvier). Le single grimpe au sommets des classements pop et country et se loge même à la 5ème position du chart R&B. En deux petits mois, le 45 tours se vend à un million d’unités et offre à Presley son premier (et pas le dernier) disque d’or de sa carrière. Les hits s’enchaînent alors durant cette prolifique année zéro du rock & roll : I Want You, I Need You, I Love You, Don’t Be Cruel, Love Me Tender, Hound Dog. Tous numéro un. Hound Dog fut d’ailleurs le catalyseur de toutes les critiques qu’essuya Elvis après son passage dans le « Milton Berle Show » de NBC le 5 juin 1956. Lors de son deuxième passage dans l’émission, Berle le persuade de laisser sa guitare en coulisse : « Laisse les te voir, mon garçon. » En plein milieu du morceau, Presley ralentit le tempo pour se lancer dans une giration des bras et un déhanchement exagéré de son bassin. Scandale. La presse s’empare du phénomène et n’est pas clémente. Jack Gould du New York Times écrit : ‘M. Presley n’a aucune capacité de chant perceptible. Sa seule spécialité est un mouvement accentué du corps digne d’un répertoire burlesque.’ Ben Gross du New York Daily News est plus assassin : ‘La musique populaire a atteint ses plus bas niveaux dans la bouffonerie. La performance de Presley est teintée du genre d’animalité qui devrait être confinée aux bordels.’ Pendant ce temps, l’hebdomadaire catholique America allait droit au but : ‘Méfiez vous d’Elvis Presley’ . Il se voit alors affublé d’un sobriquet qui le poursuivra toute sa carrière et qu’il ne supportait pas : ‘Elvis the pelvis’ (‘Elvis le bassin’).

Malgré les vociférations protestataires de ses plus grands détracteurs, la côte de Presley auprès du grand public s’envole. Toutes les portes auparavant closes s’ouvrent désormais à lui. A commencer par le « Ed Sullivan Show », passage incontournable pour tous les grands artistes populaires de l’époque. D’abord réticent à lui offrir un prime dans son émission, considérant que ce ‘spectacle est inadapté pour une émission familiale’, il change vite son fusil d’épaule après que l’apparition du jeune rocker dans le « Steve Allen Show » sur NBC ait battu pour la première fois en audience le « Sullivan Show » de CBS. Sa première de trois apparitions, négociées pour la somme folle à l’époque de 50.000 dollars, explose toutes les prévisions les plus optimistes avec plus de 60 millions de téléspectateurs. Le clou est définitivement enfoncé. Elvis Presley est désormais la voix et le visage les plus connus de l’Amérique. Surtout, il balance un énorme coup de Santiag’ dans la fourmilière. Le rock & roll devient désormais la musique la plus jouée sur toutes les radios nationales et permet l’émergence de Chuck Berry, Little Richard, Eddie Cochran ou Buddy Holly. Thanks to Elvis.

L’année 1957 se poursuit comme la précédente pour Elvis Presley. Tout ce que touche le Memphisien se change inévitablement en or. Les numéro un s’enchaînent à chaque nouvelle sortie : Too Much, All Shook Up, (Let Me Be Your) Teddy Bear, Jailhouse Rock… L’hystérie autour d’Elvis est tellement démente que Hollywood commence à s’intéresser à lui. Un contrat de sept ans est signé avec Paramount Pictures à l’été 1956. Le rêve de Presley se réalise : devenir acteur comme ses idoles Brando et Dean. Son premier long-métrage ‘Love Me Tender’ tiré de sa composition sort le 21 novembre 1956. C’est le début d’une longue histoire d’amour entre Elvis et le cinéma qui perdurera jusqu’en 1969, date de son dernier film. Malheureusement le Colonel Parker multipliera les mauvais choix pour son poulain et ce dernier se retrouvera à jouer des navets à peine imaginables. Il reste tout de même la musique à sauver comme pour ‘Jailhouse Rock’ en 1957 ou ‘King Creole’ l’année suivante. Car il faut bien reconnaître que le jeu d’acteur d’Elvis était loin d’être à la hauteur de son talent musical. Qu’importe, le public se déplace dans les salles obscures dans le seul but d’apercevoir le brun gominé, eut-il été filmé durant 1h30 à faire du tricot. Le cinéma lui permet aussi d‘exporter son image et sa musique à travers le monde. En Angleterre, la folie Presley ne tarde pas à débarquer influençant toute une génération d’adolescents qui prendront le pouvoir dans les années soixante. Pour l’heure, Cliff Richard ou Tommy Steele sont les premiers représentants outre-atlantique du rock & roll.

Elvis G.I. Blues :

Le 24 mars 1958 le service militaire américain rattrape Elvis, tout Elvis qu’il est. Il est d’abord enrôlé à Fort Chaffee près de Fort Smith dans l’Arkansas. L’évènement est couvert par des dizaines de journalistes et photographes qui s’amusent de voir l’idole des jeunes servir son pays pour une durée de deux ans. En effet, il se dit que cet appel sous les drapeaux n’était qu’un leurre destiné à éloigner le King et sa mauvaise influence de la jeunesse américaine. Au départ peu réticent à exécuter son service (il dira même aux journalistes ne pas vouloir bénéficier d’un traitement de faveur), un imprévu va changer la donne. Durant son entraînement à Fort Hood au Texas, sa mère est diagnostiquée d’une hépatite début août et son état se dégrade rapidement. Elle et son fils ont toujours entretenu une relation fusionnelle à la limite œdipienne. Gladys Presley décède le 14 août d’une crise cardiaque et le monde d’Elvis s’écroule. Il ne sera, aux dires de ses proches, plus jamais pareil.

Elvis et sa mère Gladys Presley

Le 1er octobre, Presley s’envole pour l’Allemagne et rejoint la 3ème division blindée à Friedberg, près de Francfort. S’il souffrira logiquement du mal du pays, du manque de ses amis ainsi que le deuil récent de sa mère, les terres germaniques resteront célèbres pour sa rencontre avec sa future femme Priscilla (14 ans à l’époque quand même, dix ans de moins que lui). C’est une période trouble pour Elvis qui s’interroge beaucoup sur l’avenir et si ces deux ans éloignés du public ne vont pas avoir raison de sa carrière. Pour garder le contact avec lui, RCA va continuer à sortir régulièrement des singles et LP dont King Creole (septembre 1958) la bande-son tiré du film du même nom. Durant l’intégralité de son service, Presley comptabilisera 40 morceaux entrés dans le Top 10. Monstrueux.

Elvis et Priscilla Beaulieu

Une première compilation était déjà sortie le 21 mars 1958 sous le titre Elvis’ Golden Records reprenant tous ses morceaux ayant été certifiés disque d’or. Il faut savoir que dans les années cinquante, un disque d’or équivalait à un million de disques vendus, quota qui passa à 500,000 dans les années soixante-dix. Le 33 tours contient les chansons les plus célèbres du King : Hound Dog, Jailhouse Rock, Heartbreak Hotel, All Shook Up, Loving You, Don’t Be Cruel, Love Me Tender… 14 titres, 14 numéros un intemporels. L’album s’écoulera avec le temps à plus de 6 millions d’exemplaires.

Elvis' Golden Records, 21 mars 1958

Alors que Elvis est encore en Allemagne, RCA décide de réitérer le principe et de publier une deuxième compilation des derniers numéros un de son poulain. Elvis Golden Records, Volume 2 paraît le 13 novembre 1959. La première fois de l’histoire qu’un artiste de rock & roll sort un deuxième ‘best-of’. Mais contrairement au précédent, sur les dix titres du LP, on ne retrouve ‘que’ deux numéros un : Don’t, sorti le 7 janvier 1958 et A Big Hunk O’ Love, paru le 23 juin 1959. Les autres titres ne sont pourtant pas en reste et figurèrent tous dans le Top 5 au minimum. On retrouve A Fool Such as I avec I Need Your Love Tonight en face B sorti le 10 mars 1959 qui se logea à la deuxième marche du Billboard. One Night/I Got Stung parut le 21 octobre 1958 et grimpa à la 4ème position. Le single Wear My Ring Around Your Neck/Doncha’ Think It’s Time remonte au 7 avril 1958 et s’arrêta à la 2ème marche des charts. My Wish Came True et I Beg of You sont respectivement les face B des deux numéros 1 cités précédemment.

50 millions de consommateurs :

La mention ‘50,000,000 Elvis Fans Can’t Be Wrong’ qui peut se traduire par ‘50 millions de fans d’Elvis ne peuvent se tromper’ est imprimée en lettres rouges au sommet de l’album, avant même son véritable titre qui demeure Elvis Golden Records Vol. 2. Cette ambiguïté a longtemps amené de nombreuses personnes à mal interpréter sa véritable appellation. De plus RCA Victor Records s’est souvent ‘amusé’ à mettre ou enlever la maxime au gré des rééditions au cours des années ce qui a ajouté à la confusion. Pour ceux qui auraient encore des doutes sur le véritable titre du LP et qui l’ont en leur possession, il suffit de jeter un œil directement sur le vinyle.

Mais alors, d’où vient cette expression devenue si célèbre et d’où tire-t-elle son origine ? La première source se trouve dans une interview accordée à Rebecca Franklin du Chicago Tribune (qui signe aussi le billet sur l’album à retrouver plus bas) le 26 octobre 1958. Le producteur de Presley, Steve Sholes déclare : «  Chaque disque qu’Elvis a fait pour nous s’est vendu à plus d’un million. Depuis janvier 1956, nous avons vendu 50 millions de disques d’Elvis dans ce seul pays, sans compter les ventes étrangères. Elvis est le plus gros producteur d’argent et le plus gros vendeur de disques qui n’ait jamais existé tout âge confondu. » Ainsi, sur la base de cette affirmation, on pourrait aisément attribuer la paternité de cette maxime à Steve Sholes. Mais son origine est encore plus ancienne que ça…

Steve Sholes & Elvis Presley

Le 19 septembre 1956 un article paraît dans le magazine ‘Down Beat’, une revue spécialisée dédiée à la tendance Jazz et à sa supériorité par rapport aux autres genres de musique populaire. Dans ce numéro, le célèbre clarinettiste, chef d’orchestre et éditorialiste Les Brown rédige l’article suivant : ‘Can 50 million Americans be wrong ?’ Dans ce dernier il se paye violemment Elvis et ses fans, déplorant le manque d’appréciation pour des talents « plus fins » et des « artistes vocaux sérieux » comme Jerri Southern ou Dick Haymes. L’article conclut : « La responsabilité éducative semble incomber principalement aux disc-jockeys, qui ont toujours la plus grande proximité et la plus grande influence sur le public des acheteurs de disques. Cinquante millions d’américains peuvent facilement être induits en erreur. » Ce pamphlet de Brown lui fut inspiré après le passage de Presley au « Ed Sullivan Show » le 9 septembre 1956. L’audience de l’émission avait atteint la part record de 82,6 % ce qui représentait environ 54 millions d’américains ! La plus grande audience de l’histoire de la télévision qui durera jusqu’au 9 février 1964 et l’apparition des Beatles au… Ed Sullivan. Par conséquent, la vraie question de Brown n’est pas « Est-ce que 50 millions d’américains peuvent se tromper ? » mais plutôt « Est-ce que 50 millions de fans d’Elvis peuvent se tromper ? » On comprend mieux alors la réponse parfaite de Steve Sholes : « 50 millions de fans d’Elvis ne peuvent pas se tromper » !

Les Brown

On retrouve aussi trace de cette expression dès 1927 dans la chanson 50 Million Frenchmen Can’t Be Wrong de Sophie Tucker qui compare l’attitude libérée du Paris des ‘années folles’ à la prohibition et la censure qui régnaient aux Etats-Unis. Le terme est par la suite devenue une locution à trou très souvent parodiée. Le pasteur méthodique J. Resler Shultz employa pour la première fois le terme ‘Can 50 million american be wrong ?’ comme sermon en 1931. La même année, la comédie musicale ‘50 Million Frenchmen’ de Lloyd Bacon sort au cinéma.

Sophie Tucker

Goldfinger :

La fameuse tenue en lamé doré que porte Elvis sur la pochette fut conçue par le célèbre tailleur américain Nudie Cohn. Ses créations en strass tape-à-l’œil sont restées populaires sous le nom ‘Nudie Suits’. Il fut le créateur de tenues originales pour d’autres grands noms de l’industrie musicale comme Porter Wagoner, John Lennon, Gram Parsons, Elton John, Hank Snow ou Glen Campbell mais aussi de grands acteurs dont John Wayne, Robert Mitchum ou Tony Curtis. Celle qui fut taillée sur mesure pour Elvis coûta le prix exorbitant pour l’époque de 10,000$.

Nudie Cohn & Elvis

La séance photo prit place au cours du mois de mars 1957 probablement à Memphis même. Quelques clichés furent gardés en plus de celui que nous connaissons.

Elvis porta régulièrement son ensemble en concert tout au long de l’année comme certaines photos peuvent en témoigner.

Hommages et parodies :

Les avis de la presse à l’époque :

« Alors qu’Elvis poursuit son service militaire en Allemagne, aux Etats-Unis son dernier album 33 tours vient de sortir dans les bacs des disquaires. Il a pour titre 50,000,000 Elvis Fans Can’t Be Wrong (50 millions de fans d’Elvis ne peuvent s’être trompés) . C’est une opération de son rusé manager, le colonel Parker, destinée à relancer les ventes de son poulain à un moment où la concurrence est particulièrement sévère sur le marché de la musique rock. L’album sous-titré Elvis Gold Records Volume 2 est en fait un choix de titres enregistrés les années précédentes, mais il ne saurait passer inaperçu grâce à une couverture choc : on y retrouve le chanteur (dédoublé) posant dans un extraordinaire costume en lamé or réalisé tout spécialement pour la pochette (et quelques prestations scéniques !) par le célèbre et excentrique tailleur des stars de la country music et d’Hollywood, Nudie, le « Rodeo Tailor ». A noter que ce smoking doré est comme il se doit assorti d’une chemise, d’un nœud papillon et de mocassins de la même couleur. L’or était la couleur des rois, c’est aujourd’hui celle du « King » ! »

Rebecca Franklin, Chicago Tribune Magazine, 26 novembre 1959
 

« L’avènement d’Elvis Presley, il y a trois ans et demi, apporta au monde de l’enregistrement une série de phénomènes musicaux qui conquirent à la fois le public et l’industrie. Presque tout, du meilleur au pire, a déjà été dit à propos d’Elvis. Et presque tout a été écrit aussi. Alors concentrons-nous ici sur la musique, la musique seule. Comme son prédécesseur sorti dix-huit mois plus tôt, cet album mémoire comprend dix « disques d’or », des 45 tours s’étant chacun écoulés à plus d’un million d’exemplaires.

Dans sa présentation unique de chansons, Elvis a créé sa propre tradition. Peu importe combien d’imitateurs verront le jour, Elvis sera toujours l’innovateur d’un style qui a fait des émules. Cet album est la preuve impérissable du plus grand chamboulement musical de ces dernières années. Que vous aimiez Elvis ou que vous le détestiez, vous devrez au moins lui reconnaître ceci, il est définitivement d’un autre monde. »

Anne Fulchino, Radio Corporation of America, 1959

Anec-doses :

- John Lennon, qui n’était vraisemblablement pas avide de déclarations quand il s’agissait d’Elvis, dira : « Elvis est mort le jour où il est parti à l’armée » Sa pensée sera confortée le 27 août 1965 quand les Beatles rencontrent enfin Elvis pour la première fois. Cette réunion au sommet qui sera aussi la seule laissera une mauvaise impression autant aux quatre garçons de Liverpool qu’au King de Memphis. Le fait est que Presley traversait une période compliquée dans sa carrière, englué dans ses nanars et peu en réussite musicalement. Tout le contraire des Beatles qui étaient alors assis sur le toit du monde. Sous une certaine forme de jalousie, il considérait ces derniers comme une menace et responsables de sa mise sur la touche. Mais ça ne l’empêchait pas de reconnaître indubitablement leur talent et d’apprécier leurs morceaux. Il l’exprimera à plusieurs reprises par la suite et reprendra des titres comme Yesterday ou Hey Jude.

- Les avis divergent sur la date historique du premier morceau de rock & roll : est-ce Rocket 88 d’Ike Turner chanté par Jackie Brenston en avril 1951 ? The Fat Man par Fats Domino en décembre 1949 ? Ou bien Rock Awhile de Goree Carter en avril 1949 et son riff qui rappelle étrangement un certain Chuck Berry ? Ou plus loin encore la chanteuse gospel Sister Rosetta Tharpe qui grave quelques titres sonnant bien avant-gardistes pour l’époque : Strange Things Happening Everyday en 1944 et… Rock Me en 1941 ! Chacun se fera son avis même si Bill Haley & His Comets est souvent cité comme l’instigateur du courant rock & roll. Son titre Crazy Man, Crazy sorti le 25 avril 1953 n’est peut-être pas le plus ancien du répertoire mais demeure célèbre pour être le premier à être entré dignement dans les charts avec une 12ème place dans le Billboard. Le 45 tours s’écoulera à 100,000 exemplaires en 15 jours. Mais Bill et ses comètes resteront célèbres pour le péan Rock Around the Clock, sorti le 20 mai 1954 et popularisé par le film « Graines de violence » (« Blackboard Jungle ») en salles un an plus tard où les grandes idoles du rock & roll crèvent l’écran.

- En août 1953, Elvis Presley rentre dans les studios Sun Records de Memphis, Tennessee dans le but d’enregistrer un acétate double face comme cadeau d’anniversaire pour sa mère Gladys. La démo comprend My Happiness et That’s When Your Heartache Begins. Quand la standardiste Marion Keisker lui demande : « Comme qui chantez-vous ? » Le jeunot lui répond avec assurance : « Je ne chante comme personne ». La séance lui coûte 3,98$ et le directeur Sam Phillips demande à ce qu’on note son nom avec la mention : « Bon chanteur de ballades. A surveiller. » Car le grand manitou de Sun a une seule obsession qu’il répète sans arrêt : « Si je pouvais trouver un blanc qui chante comme un noir, je gagnerais des millions de dollars » C’est lors de la session suivante que la magie opère. Quand Elvis revient au début de l’année 1954, il gagne alors sa vie comme camionneur. Il caresse encore secrètement le rêve de faire carrière dans la chanson et un accord est signé avec Sun Records pour un album qui doit être mis en boîte en juillet. Les premières séances sont laborieuses et la sauce ne prend pas. Il faut attendre une pause entre deux ballades pour qu’Elvis prenne sa guitare et se lâche dans une reprise endiablée de That’s All Right, composition du bluesman Arthur Crudup. Le résultat sonne comme nul autre. Et Sam Phillips l’a bien compris. Il tient son fameux chanteur blanc avec une âme de noir.

- Après l’arrivée des groupes anglais comme les Beatles, les Stones ou les Animals, les rockers des années cinquante furent dépassés. Elvis ne fut pas épargné et souffrit d’une longue traversée du désert durant les sixties. Il continua à tourner ses films avec plus ou moins de succès et dont les bandes originales constituaient sa principale activité musicale. Il a surtout complètement déserté la scène depuis son retour de l’armée ce qui n’arrange pas l’essoufflement de l’Elvismania. Pire, le King est désormais considéré comme un has-been par les nouveaux adolescents. Il faut bien reconnaître que Presley ne fait rien pour arranger les choses, sortant même un album… de musique chrétienne en 1967. Et puis le 3 décembre 1968, NBC diffuse une émission spéciale sobrement intitulée ‘Elvis’ qui deviendra par la suite le ‘68 Comeback Special’. Enregistrée au mois de juin en Californie, Elvis est accompagné de ses fidèles Scotty Moore et D.J. Fontana (Bill Black est décédé en 1965) et se retrouve sur une scène entouré d’un public assis au plus proche de lui. Cheveux gominés, visage d’ange, vêtu de cuir de la tête aux pieds, Elvis est resplendissant. L’aura magnétique qui a fait sa gloire ne l’a pas quitté et sa présence scénique, même assis sur une chaise avec deux mètres carré pour se mouvoir, a de quoi rendre vert Mick Jagger ou Jim Morrison. Pendant une heure, tout le répertoire classique est revisité de Heartbreak Hotel à Hound Dog. Le King est toujours présent, douze ans après sa première apparition télé. L’émission diffusée juste avant Noël va connaître un tel succès (plus grosse part d’audience de l’année) que la carrière d’Elvis va redécoller et lui donner la confiance de repartir en tournée.

- Elvis Presley est sans nul doute une des plus grandes figures de la culture populaire. A tel point qu’on ne compte plus le nombre d’apparitions, références ou clin d’œil au sujet du King. L’une des plus anecdotiques est sûrement celle qu’il fait (ou tout du moins l’acteur Peter Dobson) dans le film de Robert Zemeckis ‘Forrest Gump’ sorti en 1994 avec Tom Hanks et Robin Wright. La scène laisse entendre que c’est le jeune Gump qui aurait montré à Presley son fameux jeu de jambes qui le rendra célèbre après son passage dans le ‘Milton Berle Show’. Un moment culte de cinéma.

- La ville de Friedberg en Allemagne, où Elvis effectua son service militaire, a rendu de nombreux hommages insolites au King ces dernières années. Une place porte son nom depuis 1995 et une statue trône sur un rond-point à l’entrée de la ville avec la mention : ‘Foyer militaire d’Elvis Presley’. En 2018, trois feux pour piétons un peu particulier ont été installés sur cette même place. On y reconnaît la silhouette du chanteur au rouge comme au vert. Les riverains savent donc quand il faut traverser, « It’s Now or Never » !

- Le 16 août 1977, Elvis Presley est retrouvé mort dans sa propriété de Graceland à Memphis. La cause du décès, qui fut officiellement une crise cardiaque, a longtemps été mise en doute et la vérité finit par éclater des années plus tard (à lire dans la rubrique Rock Was Dead). Avec le décès du King, l’Amérique perdit une de ses plus grandes figures du siècle dernier. D’aucuns persisteront à croire qu’il est toujours vivant, quelque part dans un atoll hawaïen… avec Michael Jackson !

Sources :

https://www.graceland.com/

https://www.elvisthemusic.com/

https://www.imdb.com/name/nm0000062/

https://www.allmusic.com/artist/elvis-presley-mn0000180228

Peter Guralnick – Elvis Presley : Last Train to Memphis (1994) Le Castor Astral

David Ritz - Elvis Presley par les Presleys (2005) Michel Lafon

Sebastian Danchin – Elvis Presley ou la Revanche du Sud (2004) Fayard

Martin Harrison - Elvis Presley 1956 (1998) Editions de La Martinière

Juillet 2021

Commentaires

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  • Sergio (dimanche, 08. août 2021 13:36)

    Je l'ai en CD comme les 3 autres golden records aussi depuis des années. Toujours un bonheur à écouter avec le même plaisir qu'avant.

  • Rock & Roll King (jeudi, 05. août 2021 16:23)

    Un petit Elvis en soirée et tout le monde se lève de sa chaise, c'est garanti !

  • Ibracadabra (mercredi, 04. août 2021 16:09)

    a chaque fois que je passe ici, jamais decu... tous les plus grands sont analyser, hate de voir la suite...

  • Pedrito75 (lundi, 02. août 2021 17:54)

    Je vais aller m'écouter ça de suite sur spotify ^^

  • Laura (dimanche, 01. août 2021 16:56)

    Je vais faire ma groupie mais quel bogoss quoi !!! Elviiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !!!

  • Michel B. (dimanche, 01. août 2021 11:56)

    super article comme toujours. sacré travail d'investigation et de recherche. le tout écrit dans la plus belle langue de Molière. un régal à lire.

  • Ukulélé enchanté (dimanche, 01. août 2021 01:21)

    Je n'avais jamais vu les vidéos du Steve allen show, merci

    Mention spéciale à forrest gump qui me fait toujours autant marrer

  • Johnny Bigoudi (samedi, 31. juillet 2021 19:35)

    Lennon avait bien raison de dire qu'avant Elvis il y avait rien ! Comme il n'eut plus rien à son retour d'armée.. . Le Elvis de Las Vegas c'était devenu une caricature 😔

  • MixterX (samedi, 31. juillet 2021 17:47)

    J'ai toujours été plus Chuck Berry et Little Richard mais il faut reconnaitre le talent du King !!! Et tout ce qu'il a fait pour la musique. Sans lui, pas de Beatles ou de Stones surement !!!

  • 60s Dave (samedi, 31. juillet 2021 10:24)

    On a pas le recul nécessaire pour comprendre parfaitement nous européens le séisme qu'a dû être l'arrivée d'Elvis pour les américains. Lennon avait bien raison de dire qu'il ny avait rien avant. Ça a du être un sacré choc pour toutes les générations.

  • Jean-Pierre (vendredi, 30. juillet 2021 22:37)

    Je ne connaissais pas cet album même si tous les titres sont eux bien connus. Des chansons d'Elvis indémodables. Et quelle voix... souvent imitée, jamais égalée.

  • Tin soldier (vendredi, 30. juillet 2021 09:00)

    Elvis, le grand Elvis... Le roi du rock'n'roll... On en verra plus des comme lui...

  • Baba cool au rhum (vendredi, 30. juillet 2021 00:44)

    Et bah on passe de Fleetwood Mac à Elvis, sacré bond dans le temps ! T'as pris la voiture de retour vers le futur comme marty 😄

  • Louise (vendredi, 30. juillet 2021 00:30)

    Youpi yeah, du tout beau tout neuf !!!