Eric Clapton a toujours été un boulimique de travail. Mais en 1969, à seulement vingt-quatre ans, « God » a perdu la foi. Il empile les groupes comme les bouteilles de Southern Comfort sans trouver son bonheur. C’est auprès de ses potes de Delaney & Bonnie, un collectif hétéroclite de blues rock californien, qu’il retrouve le sourire lors de la tournée américaine de Blind Faith. Noyés dans la masse, chaque musicien semble jouer pour le plaisir sans aucune rivalité ni désir individualiste. Érigé au rang de divinité, Clapton aspire à retrouver la quiétude de l’anonymat. Après avoir brièvement fait partie de la bande de novembre 1969 à mars 1970 il file encore à l’anglaise mais non sans avoir débauché le claviériste Bobby Whitlock (Albert King, Sam & Dave, Booker T.), le bassiste Carl Radle (George Harrison, J.J. Cale, Buddy Guy) ainsi que le batteur Jim Gordon (Beach Boys, Byrds, Joe Cocker). Une fine équipe émérite qui va constituer l’ossature de l’énième groupe de Slowhand, Derek and the Dominos. Derek, c’est Eric of course. Le reste, un clin d’œil au grand (et gros) Fats Domino. Arrivés des Etats-Unis, tout ce beau monde pose ses valises au domicile de leur nouveau patron dans le Surrey. Ils commencent par filer un coup de main à son pote Harrison sur son premier album post-Beatles, All Things Must Pass. Les sessions leur offrent un bel exercice de chauffe que l’on peut réellement savourer sur le troisième disque qui sonne comme un grand bœuf festif. Ils se produisent tout l’été 1970 dans la campagne anglaise, écumant les petites salles et les pubs, parfois devant une dizaine de poivrots inconscients de l’identité du barbu derrière sa Stratocaster. Car Clapton a insisté pour que son nom n’apparaisse pas sur les affiches. Son premier album solo Eric Clapton qui vient de paraître à laisser la presse et les fans mitigés, un peu réticents et surpris de voir le virtuose passer derrière le micro. Le LP contient pourtant quelques perles comme Let it Rain ou la reprise de J.J. Cale (la première d’une longue liste) After Midnight.
C’est durant cette tournée que Slowhand compose le matériel qui finira couché sur le seul album de Derek and the Dominos. Et avec une obsession toute particulière en tête. Son amour dévorant pour Pattie Boyd, la femme de son meilleur ami George Harrison. Le Beatle tranquille et le mannequin s’étaient rencontrés sur le tournage de Hard Days Night en 1964 pour se marier deux ans plus tard. Lui aussi lui composera quelques titres célèbres du catalogue des Fab Four comme I Need You (Rubber Soul, 1965) ou Something (Abbey Road, 1969). Mais lorsque les deux guitaristes commencent leur longue amitié après que Clapton fut invité à graver son solo d’anthologie sur While My Guitar Gently Weeps (The Beatles White Album, 1968), celui-ci eut le coup de foudre immédiat pour la jolie blonde. Ce fut le début du calvaire pour lui qui dut garder secret ses sentiments de plus en plus prononcés. Après lui avoir déclaré sa flamme et s’être fait très insistant, il finira par mettre dans son lit Miss Harrison lasse des adultères de son mari. Les deux amants se retrouveront épisodiquement dans l’appartement que louent les Dominos dans le centre de Londres. Mais Patti Boyd restera encore avec son Beatle jusqu’à leur séparation en 1974 (après que ce dernier eut une liaison avec la femme de… Ringo Starr) puis leur divorce trois ans plus tard. En attendant, Clapton rumine son amour destructeur. Et il n’a d’autres solutions que de coucher ses pensées sur papier. Why Does Love Got to Be So Sad?, Tell the Truth, Anyday, Keep on Growing, I Am Yours ou le magnifique Bell Bottom Blues, tout tourne autour de sa passion dévorante. Même quand il décide de graver une reprise blues de Freddie King, Have You Ever Loved a Woman, son destinataire ne fait aucun doute. Layla est la source centrale de cette pièce Shakespearienne. C’est dans le conte arabe « Leïla & Majnoun » du poète perse du XIIème siècle Nizami Ganjavi que Clapton puise son inspiration. L’histoire d’une romance impossible entre un poète Quaïs et une jeune bédouine Leïla déjà promise à un autre par son père. Le protagoniste sombre alors dans une folie obsessionnelle lui valant le surnom de « Majnoun » (Le Fou). Quaïs passe ses journées à se morfondre dans sa déchéance et finit par mourir seul dans le désert. Cette idylle passionnelle touche profondément Clapton qui retrouve dans cette histoire sa relation avec Patti. Elle sera donc sa Leïla ou plus précisément Layla, anglicisée pour le coup.
Fin aout 1970, Derek and the Dominos s’envolent pour Miami afin de mettre en boîte tous ces titres aux Criteria Studios. Ils doivent travailler avec le producteur Tom Dowd, légende d’Atlantic Records. Mais les sessions sont catastrophiques et la sauce ne prend pas, principalement en raison des quantités industrielles d’héroïne que chaque membre s’enfile. C’est Dowd qui va inconsciemment éviter ce naufrage programmé quand il emmène Eric Clapton à un concert de ses nouveaux poulains, The Allman Brothers. Duane Allman était un grand fan de Slowhand et au-delà de cette admiration qui s’avéra mutuelle, une réelle amitié va naître entre les deux génies de la six cordes. Les deux guitaristes se comprennent, se complètent mais surtout boxent dans la même catégorie, Allman étant déjà considéré comme un virtuose du manche. Ils deviennent inséparables ce qui poussera Clapton à admettre des années plus tard qu’il fut le frère musical qu’il avait rêvé avoir toute sa vie. Il n’en faut pas plus pour que ce dernier soit convié aux studios pour poser sa griffe sur le disque. Son arrivée distille une énergie productive qui permet au groupe entier de se ressaisir. Allman va faire parler son talent magique à la slide sur Tell The Truth et Nobody Knows When You’re Down and Out. En quatre jours à peine, la quasi intégralité des titres sont achevés dont une reprise épique de Little Wing qui finira sur le double album en hommage à Jimi Hendrix décédé durant les sessions. Mais surtout c’est lui qui va sublimer l’œuvre principale, Layla, qui n’était à l’origine qu’une ballade. Duane va trouver le riff d’intro qui va devenir la signature du morceau (en copiant As the Years Go Passing by d’Albert King) et le transformer en hymne hard rock. Sur les seize pistes, six sont allouées aux guitares créant un son puissant illuminé par le talent de la paire Allman/Clapton. Le deuxième mouvement qui correspond à la coda de piano fut enregistré une semaine plus tard. Elle est la contribution du batteur Jim Gordon qui l’avait lui-même fauché à son ex-copine Rita Coolidge. Dans cette deuxième piste beaucoup plus lente qui sera collée à l’énergique première partie, Clapton tient la guitare acoustique et Allman la slide au bottleneck.
Layla & Other Assorted Love Songs sort en novembre 1970 mais va passer complètement inaperçu, la faute à une très mauvaise communication publicitaire. De plus, le nom de Clapton n’apparait qu’en petit au verso de l’album et se retrouve donc incognito dans les bacs des disquaires. Il ne se vend pas. Cet échec sera un vrai coup de massue pour le musicien qui va alors sombrer dans la dépression et l’héroïne alors que Patti Boyd continue à repousser ses avances. La mort de son ami Duane Allman dans un accident de moto l’année suivante n’arrangera pas sa santé mentale. Il faudra attendre 1973 pour que Pete Townshend des Who organise son grand retour lors d’un concert au Rainbow Theatre de Londres en son honneur. Et lance par la même occasion le début d’une longue carrière solo avec la sortie l’année suivante de son sublime 461, Ocean Boulevard.
Le single Layla aura joui de plusieurs éditions. La première dès la sortie du double LP du même nom, Layla and Other Assorted Love Songs (qui lui s’écoulera à 2 millions d’exemplaires) à la fin de l’année 1970 avec Bell Bottom Blues en face B plafonnera à la 51ème place de l’U.S. Billboard. Une réédition l’année suivante comprenant I am Yours en face B grimpera cette fois à la 10ème position des charts américains et à la 7ème des charts anglais. Le single sera réédité une nouvelle fois en 1982 pour finir 4ème en Angleterre sans pour autant entrer dans les classements U.S. Layla connaîtra un regain d’intérêt en 1992 quand Clapton se produira au « MTV Unplugged » où il jouera le morceau en acoustique. Sa nouvelle sortie dans les bacs se placera 12ème aux Etats-Unis et 1er au Canada et vaudra à Clapton un Grammy pour la meilleure chanson rock. Elle s’écoulera à plus de 500.000 copies.
Le titre de Clapton a été repris par quelques artistes comme le chanteur folk country John Fahey, le musicien de jazz Larry Carlton, le duo disco funk Valverde Brothers, dans le medley d’Ed Alleyne-Johnson ou le remix électro d’ApologetiX.
What'll you do when you get lonely
And nobody's waiting by your side?
You've been running and hiding much too long.
You know it's just your foolish pride.
Layla, you've got me on my knees.
Layla, I'm begging, darling please.
Layla, darling won't you ease my worried mind.
I tried to give you consolation
When your old man had let you down.
Like a fool, I fell in love with you,
Turned my whole world upside down.
Layla, you've got me on my knees.
Layla, I'm begging, darling please.
Layla, darling won't you ease my worried mind.
Let's make the best of the situation
Before I finally go insane.
Please don't say I'll never find a way
And tell me all my love's in vain.
Layla, you've got me on my knees.
Layla, I'm begging, darling please.
Layla, darling won't you ease my worried mind.
Layla, you've got me on my knees.
Layla, I'm begging, darling please.
Layla, darling won't you ease my worried mind.