Harvest

Si le monde de la musique rock comporte facétieusement son lot d’OVNI (Objet Vocaux Non Identifiés), le canadien Neil Young tient la corde depuis le début de sa carrière. Toujours présent mais jamais où on l’attend. Traversant les années comme les galaxies, le natif de Winnipeg a toujours dégagé une aura mystique et secrète malgré une œuvre longue comme le bras et une pluie de concerts. Les rançons de la gloire lui importent peu et quand le plaisir commence à ne plus être au rendez-vous, il préfère tourner les talons vers d’autres contrées. Ce qui lui vaudra ce sobriquet triste mais tellement vrai de ‘Loner’, tiré d’un titre de son premier album (Neil Young, 1969). Tel un Lucky Luke de la six cordes, le Solitaire roule sa bosse du folk-rock Buffalo Springfield au super-groupe monté par Crosby, Stills & Nash avant de fuir les lumières du star-system pour continuer sa route seul. ‘Step aside, open wide. It’s the Loner’. Les errances de sa vie se feront toujours ressentir sur ses productions musicales comme la fameuse "Ditch Trilogy" ("la trilogie du fossé") de 1973-75 (Time Fades Away, On the Beach, Tonight’s the Night) qui représente la période la plus sombre de Neil après les morts de ses amis Danny Whitten, guitariste de Crazy Horse et Bruce Berrry, roadie de CSN&Y. L’excellent On The Beach, enregistré avec la rythmique de The Band, crucifie sans état d’âme le rêve hippie californien. Ce triptyque fondamental dans l’histoire de l’artiste, par sa vision froide d’un sombre avenir pessimiste et d’une tonalité crue et dépouillée, forcera le respect et l’admiration de la scène punk émergente. Quand The Clash chantait ‘No Elvis, Beatles or Rolling Stones’ dans leur titre 1977, ils gracieront a contrario des mecs comme Young ou Lou Reed pourtant de la même génération. Les albums suivants avec Rust Never Sleeps (1979) en tête, forgent une musique bruyante et cinglante qui ouvrira la porte à Sonic Youth, Pearl Jam, Nirvana et tout le mouvement grunge. Neil Young, lui, continue son bonhomme de chemin au fil des époques et des modes changeantes qui sonnent le glas pour nombre de ses contemporains sauf lui. Neil Young, l’intemporel, le caméléon, l’éternelle rebelle, l’homme sans âge. L’activiste politique, qui n’hésite pas à vilipender George W. Bush et la guerre en Irak durant ses concerts, quitte à se mettre une partie du public à dos en chantant ‘Let’s Impeach the President’. L’écologiste aussi, s’attaquant à l’entreprise américaine Monsanto et son usage des pesticides, OGM et autres glyphosates dans son album The Monsanto Years (2015), tout en dézinguant au passage les Walmart (multinationale de la grande distribution) ou Starbucks. L’homme n’a ni sa langue ni son poing dans la poche et n’a pas non plus peur de se mouiller ou de trahir ses convictions. Sa sincérité d’homme est peut-être le secret de son incroyable longévité d’artiste. Neil Young ne triche pas. Il est comme il est, aimé ou détesté. Il déclarait au magazine Rolling Stone en 2016 : « Je m’en fous. Je me fous de ce que les gens veulent entendre. Ce n’est pas pour ça que je joue. Je ne suis pas un artiste dans le sens classique du terme. Je joue ce que j’ai envie de jouer et j’espère que les gens aiment ce que je joue. » Il faut croire que le temps lui donna plus que raison.

Après la ruée vers l’or… :

Crosby, Stills & Nash avait déjà gagné ses lettres d’or avec la sortie de son premier opus en mai 1969, véritable phénomène folk porté par des harmonies vocales d’oratorio marquées au fer rouge californien. Le LP sera une source d’inspiration sans bornes pour toute la relève campée dans Laurel Canyon et Topanga Canyon à réviser ses gammes (Glen Frey, Jackson Browne ou Linda Ronstadt). Mais avec l’arrivée de Neil Young (fort du succès de son deuxième effort Everybody Knows This is Nowhere) sur demande de son pote Stephen Stills, le trio acoustique devient quatuor électrique et entre dans une dimension privilégiée avec la sortie en mars 1970 de Déjà Vu. L’album s’écoulera à plus de huit millions d’exemplaires et assoira chaque membre du groupe à la table des plus grands noms de la musique. Difficile donc de se relever après pareil monument. David Crosby s’isole dans son bateau-domicile ‘Le Mayan’ pour soigner sa dépression. Stephen Stills part à Londres filer un coup de main sur les premiers albums de Ringo Starr et Eric Clapton. Il s’installe dans le manoir de style Tudor de l’ancien Beatle qu’il vient de lui racheter pour la coquette somme de 250.000 dollars. Plus tard, il ira lui aussi se réfugier dans les montagnes du Colorado, en proie à ses propres démons. Graham Nash ne se relève pas de sa rupture avec Joni Mitchell. Mais ce qui les relie tous est la consommation massive de dope qui fout petit à petit leur mental en l’air. Les montagnes de cocaïne et les sacs de marijuana qu’ils s’envoient accentuent la guerre des égos et les disputes sont nombreuses. Le monstre à quatre têtes finit par expirer et il faudra attendre 1977 pour les revoir collaborer sur CSN mais sans Neil Young. Sauf qu’il sera désormais trop tard, le trio californien aura fait son temps.

Neil Young, Graham Nash, David Crosby, Stephen Stills (de g. à d.)

Chacun s’attelle donc à la réalisation de son album solo. Crosby sortira If I Could Only Remember My Name (1971), titre assez approprié tant le bougre ne semble pas décidé à redescendre de son trip. Graham Nash couche lui son blues sur Songs for Beginners (1971) et Stephen Stills sur son premier album éponyme (1970). Mais celui qui tire une fois de plus son épingle du jeu est Young qui en est déjà à son troisième disque. Enregistré comme l’opus précédent avec la formation du Crazy Horse, After the Gold Rush (1970) confirme si c’était encore à prouver l’immense talent d’auteur-compositeur du Loner. Les titres qui se suivent alternent entre rock, folk et country, portés par l’assise rythmique solide du bassiste Billy Talbot et du batteur Ralph Molina. Jack Nitzsche, présent depuis les premières heures du Buffalo Springfield, tient les parties piano au même titre que le jeune prodige de dix-huit ans Nils Lofgren futur membre du E Street Band de Bruce Springsteen. Neil Young s'occupe des lignes de guitare, magistralement épaulé par le regretté Danny Whitten alors au sommet de son art. Le plus bel exemple reste Southern Man où les deux escrimeurs se répondent à la perfection dans une violente diatribe contre l’Amérique profonde. Le titre fait inéluctablement penser au futur Alabama qui vaudra à Neil quelques problèmes même si le principal intéressé n’en est pas à son premier acte politisé. La sortie en juin de la même année du 45 tours Ohio avec CSN&Y, qui relate la fusillade de l’université du Kent où la garde nationale tua quatre étudiants pacifistes, avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Des titres comme Tell Me Why, After the Gold Rush ou Only Love Can Break Your Heart (où Stephen Stills vient s’occuper des chœurs) donnent de sérieux indices sur la sonorité Tennesséenne qui sera celle de Harvest. Les démos sont d’abord travaillées aux studios Redwood de Topanga Canyon où réside tout ce beau monde avant d’être finalement gravées au Sunset Sound de Los Angeles. After the Gold Rush parait dans les bacs le 19 septembre, le lendemain de la mort de Jimi Hendrix. Sans aucun single préalablement sorti pour appuyer le LP, c’est pourtant un succès immédiat. Neil Young et le Crazy Horse décident logiquement de se lancer dans une tournée prestigieuse malgré la santé de plus en plus fragile de Danny Whitten, qui brûle la chandelle par les deux bouts. La tournée américaine est un triomphe et les emmène au Cellar Door de Washington, au Carnegie Hall ou au Fillmore East. Ils se payent même le luxe d’élire résidence au Massey Hall de Toronto, ville natale de Young. C’est une fierté et la reconnaissance de son nouveau statut d’artiste seul.

Neil Young - After the Gold Rush (1970)

…vers la moisson :

La fin des années soixante marque celle d’une époque dorée et insouciante qui ne reverra plus le jour. La séparation des Beatles ou le concert d’Altamont sont les faits historiques les plus représentatifs qu’une page se tourne. Et la côte ouest prend de plein fouet la fin du rêve hippie. Si certains irréductibles continueront à zoner les rues de Haight-Ashbury dans la baie de Frisco, les bungalows de Topanga Canyon commencent doucement à se vider. Le massacre de Laurel Canyon (les meurtres de Sharon Tate et des époux LaBianca) perpétré par Charles Manson et sa ‘Family’ durant l’été 69 va faire le tour du monde et pointer du doigt la démence qui n’est pas si éloignée de nombreux freaks toujours en liberté. Le plus surprenant est que Neil Young hébergea un temps Manson. Lui reconnaissant une certaine fibre artistique, il l’incita à se lancer dans la musique. Ce sont finalement les Beach Boys qui se chargeront de produire son album qui sortira le jour de l’ouverture de son procès. De toutes les célébrités qu’il rêvait de refroidir, comme Frank Sinatra, Elizabeth Taylor, Tom Jones ou Steve McQueen (il prendra la menace tellement au sérieux qu’il se déplacera toujours armé), Neil Young fut la seule personne à trouver grâce à ses yeux. Par l’intérêt porté à sa personne narcissique et égocentrique, il déclarera à plusieurs reprises à son sujet qu’il était la seule célébrité à être une « vraie bonne personne ».

Stephen Stills & Peter Tork, 3615 Shady Oak Road (Laurel Canyon)

Sentant le vent tourner, Neil Young est désireux de fuir la folie qui gangrène doucement Los Angeles et sa banlieue. Sur les conseils de Leo Makota, le road manager de Crosby, Stills, Nash & Young, il part visiter une propriété perdue au milieu des séquoias dans les collines de Redwood au sud de San Francisco. Sur place il fait la rencontre de Louis Avila et sa femme Clara, les régisseurs du ranch. Le vieil homme lui fait visiter les soixante hectares de terrain qui comprennent deux lacs, deux maisons et une vieille grange baptisée « Lazy Double L ». Ce choc des générations engendre une situation cocasse, le vieillard au volant de sa toute aussi vieille jeep bleue lui demandant comment un jeune beatnik aux cheveux longs peut avoir autant de fric. Young s’offre sa nouvelle résidence contre 350.000 dollars (l’intégralité des royalties du single Ohio) qu’il baptise « Broken Arrow » en référence à une de ses premières compositions avec Buffalo Springfield (Buffalo Springfield Again, 1967). Il écrira Old Man, un des premiers titres de son futur album, au sujet de Louis Avila même si son père pensa toujours qu’il lui était destiné. C’est James Taylor qui tient le banjo à six cordes (accordé comme une guitare) et on le retrouve en compagnie de Linda Ronstadt dans les chœurs. Enregistré au Quadraphonic Sound Studio de Nashville le 6 février 1971, c’est le premier morceau de l’album à être travaillé.

Neil Young & 'Old Man' Louis Avila devant son ranch

C’est lors de ce passage à Nashville, initialement pour l’émission télévisée « Johnny Cash Show », qu’il forme son nouveau groupe. Pour l’enregistrement de son morceau Old Man il entre en contact avec le maître des lieux, le producteur Elliot Mazer. Ce dernier lui met à disposition les meilleurs musiciens de la ville qui vont fortement influencer la sonorité générale du disque. Kenny Buttrey prend place derrière les fûts et Tim Drummond à la basse. Ben Keith se charge quant à lui de la guitare pedal-steel. Il débutera alors avec Neil Young une collaboration qui perdurera presque quarante ans. Avec la participation de son fidèle acolyte Jack Nitzche au piano, le quatuor se baptise "The Stray Gators" ("Les Alligators Errants"). La formation fraîchement montée se penche ensuite sur les nouvelles compositions du Loner qu’il bachote depuis déjà quelques temps en concert. Le Live at Massey Hall (2007) tiré des archives personnelles du canadien et remontant à janvier 1971 nous montre que la moitié des titres de Harvest étaient déjà proches de leurs versions finales. Dans les jours qui suivent, en ce début février, Out on the Weekend, Heart of Gold et la chanson-titre Harvest sont empaquetés.

Tous ces titres ont en commun d’être essentiellement acoustiques et sont le résultat des problèmes de santé de Neil. Un jour de 1970 où il vivait encore à Topanga Canyon avec sa première femme Susan Acevedo, la première alerte se déclencha alors qu’il défrichait le chemin de la maison. Après avoir passé la journée à porter des poids, il s’esquinta tellement le dos qu’il n’arrivait plus à poser un pied sur la pédale de sa voiture. Une simple visite chez un chiropracteur le fit repartir jusqu’à la fin d’année et son déménagement à « Broken Arrow ». Sur place, il s’attelle à retaper les murs mais c’est la rechute. Cette fois sa jambe ne bougeait plus d’un millimètre. Il retourna alors sur Los Angeles pour rencontrer le Dr. Lipshutz. Le toubib lui prescrit du Composé Soma, un décontractant musculaire (qu’il s’enfile en descendant des bières Michelob) et lui demande de garder le lit plusieurs jours. Young prend donc ses quartiers au Château Marmont, cloué dans un pieu médicalisé. A partir de là, Neil vêtu d’un corset thérapeutique ne peut plus tenir une guitare électrique et va donc composer l’essentiel de son matériel sur guitare sèche, plus légère. Heart of Gold va devenir le seul numéro un de sa carrière aux Etats-Unis et son titre le plus emblématique. Il dira que c’est le morceau qui l’aura placé « au milieu de la route » mais trouvant la célébrité trop dure à assumer, il préfèrera retourner « dans le fossé » (« in the ditch »), ce qui baptisera l’époque la plus sombre de l’artiste.

Chateau Marmont, Sunset Boulevard, Los Angeles.

C’est lors de sa convalescence qu’il découvre en feuilletant un numéro de Time l’actrice Carrie Snodgress qui crève l’écran dans Journal intime d’une femme mariée. Il tombe alors raide dingue d’elle à la simple vue de quelques photos. Il décide de lui faire parvenir une invitation et les deux se rencontrent quelques jours plus tard, elle pimpante, lui alité. A son retour au ranch de Redwood, elle l’accompagne et les deux filent le parfait amour durant plusieurs mois. Elle lui donnera son premier fils, Zeke, avant leur séparation en 1975. La chanson-titre Harvest est inspirée des anecdotes qu’elle lui raconta au sujet de sa mère alcoolique qui feignait régulièrement des tentatives de suicide pour tester l’amour de ses enfants. Quant à A Man Needs a Maid (Un homme a besoin d’une femme de ménage), il fait directement référence aux circonstances de leur rencontre quand il soignait son dos en vrac et qu’elle venait lui rendre visite. Le vers ‘I was watching a movie with a friend, I fell in love with the actress’ (‘Je regardais un film avec un ami, Je suis tombé amoureux de l’actrice’) relate dans une version un peu romancée sa découverte de Carrie. Les féministes prenant la sentence au premier degré s’empresseront de montrer les crocs même si les paroles de Neil s’avèrent beaucoup plus profondes qu’elles ne paraissent. Il avoue en effet sa peur de trouver l’amour malgré ses envies et besoins d’une femme à ses côtés. La présence quotidienne d’une femme de ménage est alors pour lui une solution de facilité. A Man Needs a Maid faisait à l’origine partie d’une seule et même pièce avec Heart of Gold comme en atteste le Live at Massey Hall de 1971. La version originale avec Neil seul au piano est très éloignée de celle de l’album qui perdra en puissance et sincérité comme l’atteste la vidéo ci-dessous.

C’est un des deux titres avec There’s a World qui ne sera pas enregistré sur le sol américain mais avec le London Symphonic Orchestra dans la capitale anglaise. Profitant d’un passage dans une émission spéciale à la BBC (d’où est tirée la vidéo précédente) Neil demande à Jack Nitzsche, fort de ses travaux sur les musiques de films, de lui arranger une collaboration. Enregistrés au Barking Town Hall (actuel Théâtre de Broadway), A Man Needs a Maid et There’s a World dénotent complètement du reste de l’album. Le Loner lui-même les qualifiera par la suite de pompeux et grandiloquents, ce que la presse comme les auditeurs ne nieront jamais. Deux titres qui ne restèrent pas gravés dans sa discographie, ce qui est largement regrettable surtout pour le premier cité qui, dépouillé de toute cette orchestration, possédait un potentiel certain.

Neil Young refait ensuite un passage par Nashville où Out on the Weekend et Harvest (ainsi que Journey Through the Past qui n’apparait pas sur l’album) sont enregistrés. Puis il retourne dans son ranch californien, non sans avoir emmené avec lui son groupe The Stray Gators. Les zicos installent tout leur matos au « Lazy Double L », la vieille grange de la propriété qui va devenir studio de fortune en plein air. Le producteur Elliot Mazer est lui aussi de la partie et sera l’instigateur d’un procédé fort intéressant qui va faire ressortir toute l’énergie et l’urgence des derniers titres beaucoup plus électriques. Il utilisa un système de prise de son à distance, et installa des haut-parleurs dans la grange pour le monitoring, au lieu de fournir des casques à chaque musicien comme il est de coutume. Les enregistrements produisaient donc beaucoup de bruit, chaque micro repiquant les sons des autres instruments, mais le résultat brut et live conquit Young. Are You Ready for the Country, avec Jack Nitzche à la guitare slide (un jeu monstrueux qui transfigure le titre) et Crosby & Nash dans les choeurs, reflète le nouvel état d’esprit de Neil que la campagne lui a apporté. Même si une fois de plus, les doubles sens sont légions et « country » qui semble parler du « pays » peut tout aussi bien s’apparenter au courant musical qui domine la production du nouvel LP. C’est aussi le cas de l’énigmatique couplet « I was talkin’ to the preacher, Said God was on my side/Then I ran into the hangman, He said it’s time to die » qui parait traiter de la religion et du racisme dans les états sudistes. Thème plus explicitement abordé dans le morceau suivant.

Neil Young avait déjà abordé le racisme et la ségrégation dans Southern Man sur son précédent LP. Alabama sonne comme le deuxième volet et, avec la sortie de Ohio sous CSN&Y, enfonce le clou de l’artiste engagé et protestataire. L’état sudiste (comme le Mississippi) portait la triste réputation d’un lieu conservateur encore englué dans la haine farouche des afro-américains. L’affaire Rosa Parks en 1955, la répression des « Freedom Rides » en 1961, l’attentat de l’église baptiste de Birmingham par le KKK en 1963 et toutes les exécutions barbares perpétrées alourdissent le C.V. de l’Alabama. Sans compter que le gouverneur de l’époque George Wallace (bien soutenu par un fidèle électorat) est un fervent défenseur des lois ségrégationnistes. Il s’interposera lui-même face aux troupes fédérales venues ouvrir l’accès aux étudiants noirs à l’université de Tuscaloosa en 1963. Neil ne mâche pas ses mots dans Alabama comme il le regrettera plus tard, les qualifiant de condescendants et malhabiles. A noter que David Crosby et Stephen Stills assurent les chœurs sur le titre.

Mais le fait le plus connu à son sujet est la réponse que Lynyrd Skynyrd apporta sur son second album Second Helping (1974). La piste qui ouvre le LP, Sweet Home Alabama, est née de la colère que suscitèrent les accusations de Young. Ronnie Van Zant chante « I heard Mr. Young sing about her,I heard ol’ Neil put her down/ Well I hope Neil Young will remember, A southern man don’t need him round anyhow » (« J’ai entendu M. Young chanter à son propos, J’ai entendu le vieux Neil la descendre/ J’espère que Neil Young se souviendra, Un sudiste n’a nul besoin de lui de toute façon »). Mais la réflexion n’était pas à prendre au premier degré, contrairement à ce que de nombreuses personnes pensèrent. En ciblant directement Neil Young, Skynyrd s’attaquait plus globalement aux détracteurs des habitants de l’Alabama qui faisaient rapidement des amalgames. Il n’y a pas que des ploucs racistes dans le Sud et c’est le message de Sweet Home Alabama. Young confessera plus tard que la pique était méritée et que c’était pour lui un honneur d’être cité dans une de leurs chansons. D’autant que les deux artistes avaient beaucoup de respect et d’admiration en commun. Le canadien composera trois titres pour le groupe (Powerderfinger, Sedan Delivery et Captain Kennedy) et Van Zant retiendra le premier cité pour figurer sur leur prochain album… qui ne verra jamais le jour. La moitié du groupe périra dans un accident d’avion en 1977. Le Loner reprendra souvent Sweet Home Alabama en concert le dédiant à « un ami parti trop tôt ».

Ron Van Zant avec un t-shirt "Tonight's the Night" et Neil Young avec un t-shirt "Lynyrd Skynyrd"

Le dernier titre électrique du disque est aussi le dernier à avoir été enregistré, toujours au ranch de Redwood. Words fait appel une fois de plus à Stephen Stills et Graham Nash. La mesure du morceau assez particulière passe d’un 4/4 standard à 11/8 durant les interludes. Neil y laisse transparaître ses premiers doutes au sujet d’une relation à long terme avec sa compagne d’alors, Carrie Snodgress. De nature solitaire et peu communicatif, la paix qu’il avait envisagée dans son nouveau domicile s’est vite retrouvée ébranlée par les allées et venues incessantes. Son salon se retrouvait vite plein à craquer et bruyant, rempli de « mots ». Le bougre se sentit vite devenir parano, voyant des pique-assiettes partout. Ce qui ne devait pas être totalement faux.

La composition la plus énigmatique de Harvest se trouve être aussi la seule qui ne fut pas retravaillée en studio. The Needle & The Damage Done est tirée d’un concert de Neil au Royce Hall de l’Université de Californie le 30 janvier 1971. Elle fut placée telle quelle entre les deux pièces électriques du disque Alabama et Words, ce mini break renforçant volontairement son intensité émotionnelle. Neil traite ici des « ravages de l’aiguille » à savoir l’héroïne (« I watched the needle take another man »). Son ami de longue date et membre de son groupe Crazy Horse (avec qui il avait gravé ses deux précédents albums) Danny Whitten était accroc depuis déjà pas mal de temps. Il écrivit le titre comme une mise en garde (« I sing the song because I love the man ») qui s’avéra au final prémonitoire. Quand Young prépara sa tournée suivant la sortie de Harvest, il refit appel à plusieurs membres du Crazy Horse dont Nils Lodfgren et Danny Whitten. Ce dernier se pointa aux répétitions à « Broken Arrow » complètement stone, pas foutu de tenir sa guitare. Passablement énervé, Neil le renvoya avec cinquante dollars et un billet retour pour Los Angeles. La nuit même il faisait une overdose au Diazepam conjugué à une forte quantité d’alcool. Son décès fut le début de la descente aux enfers du Loner qui se sentait responsable et celui de la « Ditch Trilogy » à venir dont Tonight’s the Night lui fut majoritairement dédié (ainsi que Bruce Berry mort lui aussi d‘une overdose).

Maintenant que dire de la pochette ? Neil Young n’a jamais été un artiste dont le visuel était primordial. Même si certaines œuvres méritent d’être saluées comme la pochette de On The Beach (1974) ou la compilation Decade (1977). Celle de Harvest est le fruit du travail réalisé par Camouflage Productions, une compagnie de design basée à Los Angeles. Et plus précisément du photographe et directeur artistique Tom Wilkes (1939-2009), originaire de Long Beach. L’homme bossa avec les plus grands noms de l’époque et on le retrouve sur des galettes cultes comme Beggars Banquet (1968) des Stones, All Things Must Pass (1970) de George Harrison ou les deux compilations des Beatles The Beatles 1962-1966 et The Beatles 1967-1970 (1973) plus connues comme le double rouge et le double bleu. Il décrocha même un Grammy Award en 1974 pour la version London Symphony Orchestra de l’opéra-rock Tommy (même si personnellement je préfère la pochette des Who). La photographie intérieure prise par Joel Bernstein (lui aussi de Camouflage Prods.) nous montre le reflet de Neil Young dans une poignée de porte. On peut donc logiquement apercevoir aussi Bernstein. Le recto du LP quant à lui met en scène le Loner et tous les membres des Stray Gators en pleine session dans la fameuse grange « Lazy Double L ».

Neil Young dans son ranch "Broken Arrow", 1971.

Les avis de la presse à l’époque :

« Quand vous aurez fini de lire dans cinq minutes, la plupart d’entre vous s’exclameront : ‘Oh ! Quels salauds que ces critiques rock. Comme ils ont vite fait de désapprouver un artiste qu’ils avaient encensé par le passé à partir du moment où il a gagné le cœur des foules. Comme ils aiment descendre ce que nous aimons !’ Quoique très souvent, j’eus répondu ‘tout à fait’, accentuant davantage le gouffre entre le public et les critiques, je déclarerai sous serment devant la plus haute cour de ce pays que ce jugement est loin d’être approprié concernant la revue du nouveau Neil Young.

Il faut savoir que les artistes réagissent tous différemment à un accueil plus que chaleureux. Tandis que certains voient la réussite commerciale comme un moyen de réaliser tous ces fantasmes qu’un manque de budget rend impossible, se développer et grandir en tant qu’artiste au travers de toutes ces ressources auparavant inaccessibles, d’autres perdent leur talent artistique face aux attente d’un public de masse –ce qui en résulte de pâles copies de ce qui était jadis instinctif et innovateur – ou assouplissent considérablement leur niveau d’exigence passé après avoir conclu (généralement à raison) qu’une fois atteint le statut de superstar, le public gobera avidement n’importe quelle merde enregistrée.

Se basant sur les deux albums qu’il a réalisés depuis son départ de Crosby, Stills & Nash (qui lui assurait un rayonnement certain) dont le spectaculaire Everybody Know This is Nowhere, on peut conclure que Neil Young fait bien partie de ceux dont la célébrité devient artistique.

Harvest, une longue et douloureuse année d’enregistrement (ou plus vraisemblablement de production) montre Neil Young invoquer les clichés les plus loufoques de la vie Hollywoodienne à L.A. dans le but de dissimuler péniblement que lui-même est passé par là.

En témoigne, par exemple, la dérangeante ressemblance de presque tous les morceaux de l’album à une composition antérieure de Young – c’est comme s’il avait ajouté une guitare steel et de nouvelles paroles à After The Gold Rush. En témoigne son utilisation de ladite guitare steel pour créer une ambiance Western à des années-lumière de celle imaginée jadis par le vibrato de sa guitare solo.

En témoigne, en effet, qu’il ait presque renoncé à son rôle de rockeur contestataire pour celui d’un troubadour country décontracté et stéréotypé, jouant rarement de la guitare électrique, et puis sans la dépense envoutante et l’émotion palpitante qui caractérisait son jeu avec Crazy Horse. Son seul solo à rallonge de l’album, sur Words, est maladroit et pataud, limite embarrassant.

Le groupe de Neil de Nashville, les Stray Gators, font triste figure à côté des membres du Crazy Horse, dont ils peinent à reproduire le style sur des titres comme Out on the Weekend, Harvest et Heart of Gold. Là où le Crazy Horse jouait leur accompagnement hypnotiquement simple avec une seule idée en tête (rendre les accents rythmiques le plus dramatique possible pendant les chœurs et les pauses instrumentales), les Gators se montrent timorés, tout en retenue et finalement monotones.

Cela étant dit, les paroles de de Neil Young dominent l’attention de l’auditeur bien plus que convenu. Les ressources verbales de Neil ont toujours été limitées mais jusqu’à présent il avait presque toujours réussi à proposer des lignes fortes et évocatrices à la fois pour maintenir l’attention de l’auditeur loin de la banalité du reste. Dans son meilleur travail, sur ‘Everybody Knows’ dans lequel l’accompagnement lourd et sinistre du Crazy Horse rendait indiscutable le message (de désespoir engendrant un brutal caractère vindicatif), auquel les mots presque insondables et subjectifs laissaient entendre de manière générale les fondamentaux d’une chanson réussie.

Ici, la musique ne faisant pas grande impression, les mots font force ou faiblesse, ayant finalement l’effet d’un pétard mouillé du fait de leur manque d’inspiration et de la pauvreté des rimes. Quelques morceaux en sont le parfait exemple –‘The Needle and the Damage Done’ est désinvolte, gentillet et sans réel engagement tandis que ‘There’s a World’ est tout simplement absurde et puant. Seul ‘A Man Needs a Maid’, dans lequel Neil traite de son thème favori –son incapacité à trouver et garder un amour- dans un style romanesque saisissant (eu égard à la prise de conscience croissante des droits de la femme dans notre société) est particulièrement intéressant. Presque tout le reste est d’une infime légèreté, offrant que trop peu de choses à se mettre sous la dent.

On peut noter (à contrecœur) qu’aucun des titres de Harvest orchestrés de manière symphonique n’atteint le niveau de ‘Expecting to Fly’ (Buffalo Springfield Again, 1967) en termes de production ou de puissance émotionnelle. Se pourrait-il que les deux mouvements inutilisés de ce chef d’œuvre antérieur, conçu à l’origine comme une trilogie, aient donné le ton pour ‘Maid’ et ‘There’s a World’ ? (mes excuses si ‘The Emperor of Wyoming ou ‘String Quartet from Whiskey Boot Hill’ du premier Neil Young ou même encore ‘Broken Arrow’ toujours sur Buffalo Springfield Again soient en fait les deux tiers manquants).

Alabama’ s’inspire péniblement de ‘Southern Man’ mais ne parvient jamais à égaler la puissance de ce titre sur ‘After The Gold Rush’ avec cette rythmique vicieuse et stridente de Danny Whitten et le chant acide de Neil Young. Les premiers mots de ‘Old Man’ promettent beaucoup pour au final pas grand-chose.  On se moquerait bien volontiers de la prétention de ‘Heart of Gold’ si c’était n’importe quel autre troubadour diffusé sur les ondes. ‘Are You Ready for the Country’ comme ‘Cripple Creek Ferry’ semble être une petite blague pour initiés destinée à amuser la galerie de connaissance de Neil. La chanson-titre est littéralement désordonnée et bancale, et ‘Out on the Weekend’ est puéril, précieux et complaisant, sans parler de la mélodie insipide.

A vrai dire, j’ai écouté la totalité d’Harvest pas moins d’une douzaine de fois avant de glisser mon papier dans la machine à écrire, et je n’ai finalement trouvé qu’une chose positive à en dire : Neil Young chante toujours de manière aussi singulière et touchante. Pour l’essentiel, cependant, il semble avoir perdu de vue ce qui avait jadis rendu sa musique si convaincante et unique pour devenir une autre de ces superstars solos de variété.

Ce qui me désole au plus haut point. »

John Mendelsohn, Rolling Stone, 30 mars 1972.

« Les réactions excessives et stupidement anticipées à sa sortie prouvent que le gentleman Young a ses charmes, tout comme celui qui est négligé. Rythmiquement, c’est un peu rupestre, et Young est coupable d’auto-caricature sur ‘Alabama ou de grandiloquence pompeuse sur l’insoutenable opus du London Symphony Orchestra ‘There’s a World’. Mais ces deux chansons exceptées, même les plus mineures ici sont musicalement satisfaisantes, et deux d’entre elles sont même majeures –‘The Needle and the Damage Done’ et le diffamant et tant décrié (tant par les féministes que par les critiques du London Symphony Orchestra) ‘A Man Needs a Maid’. B+ »

Robert Christgau, Newsweek, février 1972.

« Il faudrait bien entendu parler longuement des textes de ces chansons, parmi les plus beaux que Neil Young ait jamais écrits. C'est vrai. Mais n'en reproduire que quelques brides, pour illustrer un commentaire, cela nous paraît injuste, trop facile. Une chanson de Neil Young ne se démantèle pas ; elle s'écoute, s'apprend, on en savoure chaque mot, chaque phrase. Après plusieurs écoutes, il faut recommencer, dans le noir, ou bien les yeux fermés. C'est alors que l'on entend tout, vraiment tout, ces harmonies délicates portées par un rythme lourd, cette voix d'enfant qui flotte entre les touches du piano, entre les accords de guitare, au-dessus ou en dessous des somptueuses lignes que dessinent les violons.

Il faudra du temps, peut-être, pour percevoir la progression qui existe dans ce disque. Les deux premiers titres, lents, presque monotones, conduisent à l'étrange histoire de A Man Needs A Maid, et c'est le premier morceau avec le London Symphony Orchestra. Comment peut-on à ce point réussir à ne pas perdre son identité, comment Neil Young peut-il ainsi rester lui-même à travers toute cette grandiloquence (encore plus nette dans le second titre avec le L.S.O, There's a World) ? Et comment se fait-il qu'on ne soit pas choqué par l'intrusion de ce faste dans l'art d'un homme qui nous avait habitués à être merveilleux en ne s'accompagnant que d'une simple guitare ? Mais c'est ainsi. Une réussite, qui prouve que Young peut écrire des partitions bien plus complexes que celles de After the Gold Rush, une réussite qui prouve également que ses limites se trouvent bien au-delà de ce que l'on aurait pu supposer.

Heart of Gold, sans en avoir l'air, est un morceau magnifique. Il y a là un arrangement vocal tout à fait splendide (avec le concours de James Taylor et Linda Ronsdadt) et un effet d'écho sur les guitares qui dépasse l'entendement. Il faut d'ailleurs dire que Harvest est un chef d'œuvre de mixage et de travail en studio à tous les niveaux.


Rien n'aura été abandonné avant que l'on soit persuadé de ne pouvoir faire mieux. Par exemple, si les reprises vocales de Old Man sont belles à ce point, c'est non seulement dû aux voix de Young, Taylor ou Ronstadt, c'est dû surtout à leur parfait équilibre l'une par rapport à l'autre, à un dosage minutieux des intensités. De longues heures de studio, mais on sait fort bien que sans le talent, elles ne servent à rien. La preuve : The Needle And the Damage Done est enregistré "live", et ce morceau est l'un des plus beaux. Young y est seul avec sa guitare, chantant l'histoire d'un junkie qu'il ne peut sauver.

C'est donc après plusieurs auditions que Harvest devient un disque varié, l'impression qui n'est peut-être pas très évidente au début. Après les (doux) fracas de There's a World, une guitare électrique découpe l'intro de Alabama un peu à la manière de Southern Man. Le swing revient, en force, et Neil Young retrouve alors les accents de Ohio, bien épaulé par Crosby et Stills, et la rythmique des Stray Gators, le groupe qui l'accompagne, se fait plus pesante que jamais. Ce groupe est le groupe de Young, et il fait ce qu'on lui demande de faire, avec une compétence extrême. On entend une magnifique partie de steel-guitar dans Are You Ready for the Country, morceau vaguement bluesy, qui me rappelle quelque chose des Canned Heat. Crosby & Nash y sont présents, et Nash et Stills sont là, dans le morceau le plus électrique de l'album Words, où l'on retrouve ces longs solos de guitare qui s'entremêlent, s'entrecroisent et se chevauchent, ces breaks soudains qui relancent la chanson plus qu'ils ne l'interrompent.

Je ne sais si ce disque vaudra de nouveaux fans à Neil Young. Ceux qui le connaissent se sentiront heureux en écoutant Harvest, ceux qu'il laisse indifférents pourront difficilement se mettre au diapason. Par rapport à After the Gold Rush, Harvest est un retour vers un monde encore plus secret, encore plus intime et mystérieux. Celui de la personnalité profonde de Neil Young. »

Jacques Chabiron, Rock & Folk, mars 1972.

Hommages et parodies :

Anec-doses :

- L’une des légendes les plus coriaces de l’histoire du rock concerne Neil Young et son album Harvest. Le mixage final, produit par Young et Elliot Mazer, se déroula entre les studios Quadrafonic de Nashville et le ranch de « Broken Arrow ». Des baffles immenses furent disposés dans sa propriété pour diffuser l’acétate. Sa maison toute entière servait d’enceinte gauche tandis que la grange était utilisée comme enceinte droite. Graham Nash qui était présent se souvient que lui et Neil prirent place dans une petite barque au milieu du lac situé juste en face. Mazer était resté à quai pour les ajustements sonores. C’est depuis ce drôle d’emplacement que Harvest fut entendu pour la toute première fois. Les enceintes étaient tellement puissantes que le volume faisait trembler l’embarcation. Mais là où l’anecdote se changea en mythe est quand Young, pour faire la balance, se mit à hurler comme recommandation « MORE BARN ! » (« Plus de grange ! ») à Mazer. La phrase est devenue tellement culte au fil des années qu’elle fut même déclinée en t-shirt.

- En 1978, ‘The Loner’ panse encore les plaies de sa longue dépression des dernières années. Commercialement il semble tout aussi bien en convalescence, peinant à rééditer le succès de Harvest. Au grand dam de sa maison de disques Reprise qui le presse de redresser ses ventes. Etonnamment, il s’applique à graver quelques morceaux bien calibrés FM qui apparaîtront sur le LP Comes a Time. Ce sera le seul et unique compromis de sa carrière, laissant les années 80 le porter vers des albums plus expérimentaux. Mais l’histoire retiendra surtout que lors de l’écoute du pressage original, Young fou furieux du résultat décida de racheter de sa poche tous les exemplaires fabriqués. Il les entassa ensuite dans la grange de son ranch de "Broken Arrow" pour tous les détruire en tirant dessus à la carabine.

- Harvest sera certifié meilleure vente de l’année 1972 aux Etats-Unis. En France il recevra le Grand Prix de l’académie Charles-Cros pourtant réputée pour décerner ses récompenses à des albums de jazz ou de musique classique. Parmi les autres groupes de rock à avoir décroché cette prestigieuse distinction, on retrouve The Doors avec L.A. Woman (1971), Pink Floyd avec Ummagumma (1969) ou encore Jimi Hendrix pour Electric Ladyland (1968).

- Neil a eu trois enfants dont un fils (Zeke) avec l’actrice Carrie Snodgress puis avec Pegi Morton (Ben et Amber) qui était serveuse dans un restaurant pas loin de son ranch ‘Broken Arrow’. Ils furent mariés pendant 36 ans et divorcèrent en 2014. Ses trois enfants subirent tous de sérieux handicaps, plus léger pour Zeke, Ben souffrant d’infirmité moteur cérébrale ne peut ni parler ni marcher. Amber est quant à elle sujette à des crises d’épilepsie aigüe. Neil et Pegi fondèrent en 1987 la ‘Bridge School’ à Hillsborough en Californie destinée aux enfants atteints de graves troubles physiques et mentaux. Chaque année au mois d’octobre, un concert de charité se tient au ‘Shoreline Amphitheatre’ de Mountain View (Californie). Par le biais de la forte implication de Young, de nombreux artistes y ont déjà participé (Thom Yorke, Green Day, Bob Dylan, David Bowie, The Beach Boys, Pearl Jam…) De nombreuses personnes ont souvent émis l’hypothèse que l’infirmité de ses enfants serait les conséquences de toutes les drogues prises durant sa vie ainsi qu’une santé déjà fragile.

- La première voiture que posséda Neil Young et qui lui fut offerte par sa mère était une Buick Roadmaster de 1948. Sa particularité ? C’était… un corbillard ! Fort pratique pour transporter tous les instruments et le matériel de musique. Il la surnomma affectueusement Mort’ pour ‘Mortimer Hearseburg’ (‘hearse’ veut dire ‘corbillard ‘) avec lequel lui et son premier groupe canadien The Esquires (puis The Squires) écumèrent la campagne de l’Ontario. Mortimer lui fera passer la frontière lors de son premier road-trip américain. Mais de retour chez lui au printemps 1965, la transmission lâche à Blind River et Young acquiert un second corbillard (une Pontiac de 1957 cette fois-ci) nommé logiquement Mort’ II. L’épisode sera narré des années plus tard dans son morceau qui donne le titre à l’album Long May You Run (1976). C’est à la même période qu’il fait la rencontre de Stephen Stills de passage avec son groupe folk dans un club de Fort William. Les deux musiciens sympathisent et se donnent rendez-vous à New York, alors bastion de la musique folk. Mais quand Young et Mort’ II débarquent dans la Grosse Pomme, Stills a déjà mis les voiles pour Los Angeles, nouvel Eldorado des musiciens en herbe. Le Loner et son compatriote le bassiste Bruce Palmer se lancent alors sur ses traces en février 1966 et il faudra attendre quelques semaines (le 1er avril) pour que l’histoire de la musique fasse un bond en avant. Ce jour-là, Stills qui déambule en voiture sur Sunset Boulevard avec son ami Richie Furay, aperçoit garé de l’autre côté de la route un corbillard immatriculé dans l’Ontario. Ni une ni deux il écrase la pédale de frein, se doutant bien de l’identité de son propriétaire. Les quatre zigs se retrouvent tous autour d’un verre pour fonder Buffalo Springfield.

- Neil Young est un touche-à-tout et fit même quelques incursions dans le cinéma durant sa carrière. En 1977, avec l’aide de l’acteur Dean Stockwell (Paris-Texas, Dune, Blue Velvet) il réalise la comédie « Human Highway » qui sortira sur les écrans cinq ans plus tard. Il fait appel pour une scène du film tournée dans une centrale nucléaire au groupe new-wave Devo encore inconnu. Une forte amitié nait entre le canadien et Mark Mothersbaugh. C’est de cette rencontre atypique que naîtra le titre Hey, Hey, My, My (Into the Black) et son pendant acoustique My, My, Hey, Hey (Out of the Blue) qui figureront sur Rust Never Sleeps (1979). La première mouture issue du bœuf avec Devo est une piste acidulée et noisy qui fera baver des générations de guitaristes du côté de Seattle dix ans plus tard. Quand les stations radio reçurent l'acétate, la distorsion omniprésente leur fit croire que le pressage était foiré et certaines le renvoyèrent. Neil Young exprime ici ses craintes sur son propre statut, se demandant si avec l’arrivée du courant punk, il n’a finalement plus sa place dans le monde du rock. Il fait d’ailleurs clairement référence au chanteur des Sex Pistols et cite implicitement Elvis qui vient de passer l’arme à gauche (The King is gone but he’s not forgotten, Is this the tale of Johnny Rotten ?) Mais si ce titre est passé à la postérité, c’est pour un vers en particulier : It’s better to burn out than to fade away. Ces quelques mots ouvriront la lettre que Kurt Cobain laissera avant de se faire brûler la cervelle. Quand Neil l’apprendra, la tragédie le renverra aux heures les plus sombres de sa carrière. Surtout qu’il avouera avoir tenté de le contacter quelques jours avant sa mort pour lui dire tout le bien qu’il pensait de lui.

- Dans la liste des 500 plus grands albums de tous les temps publiée par Rolling Stone en 2003, Neil Young fait très bonne figure avec pas moins de sept albums (dont cinq en solo, un avec CSN et un avec Buffalo Springfield). Il se retrouve en tant qu’artiste seul à égalité avec David Bowie et juste derrière Bob Dylan, Eric Clapton (en comptant ses différents groupes) et Bruce Springsteen. Harvest est évidemment dans la sélection, se classant par ailleurs à la 82ème place.

Sources :

http://www.neil-young.info/

https://neilyoungarchives.com/

Neil Young – Une autobiographie (Robert Lafont) 2012

Daniel Durcholtz, Gary Graff – Neil Young, Long May You Run : The Illustrated History (Voyageur Press) 2012

Sam Inglis – Neil Young’s Harvest (Bloomsbury Publishing USA) 2003

Noel Balen – Ma nuit avec Neil Young (Castor-Astral) 2013

David Lurhssen, Michael Larson – Encyclopedia of Classic Rock (ABS-CLIO) 2017

Mars 2019

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