C’est probablement la pochette la plus célèbre au monde, pour un album qui l’est tout autant. Difficile de n’avoir jamais aperçu une fois dans sa vie (au risque de souffrir de graves problèmes ophtalmologiques) Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, sorti le 1er juin 1967 et huitième galette des quatre garçons de Liverpool : The Beatles. Outre la profonde inspiration nécessaire à la prononciation du titre, ce disque est souvent considéré comme le meilleur et le plus influent de tous les temps, autant par les critiques que par les artistes eux-mêmes. Véritable pierre angulaire de la culture pop, bande-son de toute une génération (et du fameux « Summer of Love » qui suivit), il redistribua définitivement les cartes de l’industrie musicale, des innovations techniques à la production. Des orchestrations symphoniques aux sitars indiens, en passant par les textes lysergiques, avec Sgt. Pepper’s la pop devient adulte. Régulièrement en tête des classements des plus grands albums de tous les temps (number one des « 500 Greatest Albums of All Time » du magazine Rolling Stone), trônant au sommet de la hiérarchie rock dans les ventes (environ 40 millions de copies en comptant les cassettes et rééditions), lauréat de récompenses multiples (premier album rock à gagner un Grammy Awards en 1968, 175 semaines non consécutives –environ 3 ans- dans les charts, plusieurs dizaines de fois album d’or et de platine,..), porté par 129 jours d’enregistrement et des centaines d’heures de bandes (une véritable révolution pour une époque où un LP s’enregistrait en quelques jours seulement), Sgt. Pepper’s est un monolithe pachydermique du paysage musical du XXème siècle.
Ce qui choque en premier lieu, lorsque l’on se trouve devant l’album, est l’explosion détonante de couleurs primaires, comme une aquarelle peinte avec de la confiture. A l’extrême opposé de Revolver sorti en aout 1966 et son visuel en noir et blanc (qui vaudra tout de même à Klaus Voormann un Grammy pour la meilleure pochette d’album en 1967) ou du LP qui suivra leur retour d’Inde The Beatles (alias « l’album blanc » le bien nommé) en décembre 1968. Le visuel très psychédélique est dans l’air du temps. Le groupe texan The 13th Floor Elevators avait pondu l’année précédente The Psychedelic Sounds of the 13th Floor Elevators qui est souvent estampillé premier album de rock psychédélique de l’histoire. Il en va de même du Freak Out de Frank Zappa & The Mothers of Invention, lui aussi sorti en 1966. McCartney dira d’ailleurs lorsque l’album sera dans la boîte : « Ça y’est, nous avons nous aussi notre Freak Out ! ». Pensé et conçu tout d’abord comme un concept-album (idée venue du Jazz et des albums de Sinatra In the Wee Small Hours ou John Coltrane A Love Supreme), la pochette devait logiquement devenir l’étendard de son contenu.
C’est dans l’avion qui le ramenait lui et Mal Evans (road manager du groupe) d’un séjour au Kenya en novembre 1966, que Paul eut l’idée globale du concept. Une fanfare fictive de l’ère Edwardienne qui deviendrait l’alter-ego des Beatles et qui, par la même occasion, soulagerait le groupe de la pression constante qu’il subissait de toutes parts depuis des années en leur accordant une nouvelle liberté créatrice. Mal suggéra d’opter pour un nom « à rallonge » dans le style des groupes californiens comme Quicksilver Messenger Service ou Big Brother & The Holding Company qui fleurissaient à l’époque.
Le nom définitif est une nouvelle fois une « private joke » du groupe, comme ce fut le cas pour A Hard Day’s Night (1964) ou Eight Days a Week (1964). Les Beatles avaient pour habitude, lorsqu’ils étaient à table, de glousser « Gimme Sergeant Peppa » (Passe-moi le Sergent Poivre) pour « Salt & Pepper » (le sel et le poivre). Concernant le « Club des Cœurs Solitaires », laissons Sir Paul himself répondre :
« Lonely Hearts Club Band, c’est un bon titre. Il y’a beaucoup d’interprétations possibles, comme l’équivalent d’une agence matrimoniale de nos jours. J’ai juste mis les deux termes ensemble comme tu peux le faire avec Dr. Hook & The Medicine Show. Toute cette effervescence culturelle dans les années 60 renvoyait beaucoup au siècle dernier en fait. C’était juste une boutade Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et ça sonnait plutôt bien. C’était assez drôle car pourquoi un « club de cœurs brisés » aurait une fanfare ? Si ça avait été Sgt Pepper’s British Legion Band, ça aurait été plus logique. L’idée était d’être en décalage, plus funky, c’était ce que tout le monde faisait à l’époque. C’était fashion. L’idée était juste de mettre des mots bout à bout qui collaient bien. Je pensais que c’était plus percutant qu’un titre court et accrocheur. Nous l’avions fait précédemment avec Rubber Soul et Revolver qui était très direct. C’était à l’inverse de tout ça. »
Le titre trouvé, la légende était en marche.
La photographie, immortalisée le 30 mars 1967 dans le studio de Michael Cooper à Londres, est l’œuvre de Peter Blake gourou du pop-art, sur les conseils de Robert Fraser proche de McCartney. Il est assisté par sa femme Jann Haworth et le shooting, qui eut lieu en soirée, dura trois heures. Charger un professionnel de créer de toute pièce une pochette de disque ne s’était jamais produit auparavant. La thématique première de l’album devant être le souvenir et l’enfance à Liverpool (que l’on retrouve dans le 45 tours promotionnel Strawberry Fields Forever/Penny Lane), les Beatles devaient porter des uniformes de l’Armée du Salut. Projet vite abandonné au profit des costumes que l’on connait, créés par le couturier mexicain Manuel Cuevas. C’est Blake qui propose le concept final : une photo du groupe venant de donner un concert dans un parc, entouré des spectateurs les regardant. En usant de silhouettes en carton, les Fab Four auraient le loisir de faire figurer qui ils veulent.
Sir Joseph Lockwood, grand manitou d’EMI, frôla la crise cardiaque lorsque lui et les dirigeants reçurent la facture finale de la pochette : 2867 livres, 25 shillings et 3 pence précisément. Le coût d’une pochette étant alors à l’époque de 25 livres environ. Peter Blake toucha seulement 200 livres de cachet pour sa réalisation historique, ce qui laissa chez l’intéressé quelques aigreurs et ressentiments par la suite. Son travail sera néanmoins récompensé d’un Grammy pour la meilleure pochette l’année suivante.
Les Beatles apparaissent alors derrière la grosse caisse du Sergent Poivre, cuivres en mains, devant un parterre fleuri aux airs de composition funéraire artificielle. La symbolique est forte. Les Beatles ne sont plus, ils ont laissé place aux musiciens de ce brass-band du 19ème siècle. Chaque membre du groupe a dorénavant sa propre identité, sa propre couleur de costume, sa coupe de cheveux. Pour enfoncer le clou se tiennent sur leur gauche les statues de cire de feu les Fab Four, vestiges d’une époque révolue, où leurs tenues vestimentaires et capillaires étaient coulées dans le même moule. Nous assistons bel et bien ici aux funérailles de ce que le groupe a représenté ces cinq dernières années et de la Beatlemania qui en découla. Un suicide créatif mûrement réfléchi. Tel des Dieux de l’Olympe penchés sur le commun des mortels, l’avènement d’une nouvelle ère semble acté.
Autre visuel marquant, les Beatles sont désormais tous moustachus. Et cela depuis quelques mois déjà. Le 14 septembre 1966, Harrison part à Bombay en Inde retrouver son nouveau maître à penser, Ravi Shankar. Pour échapper aux cohortes de fans en délire, ce dernier lui conseille de se grimer pour passer inaperçu : « Déguise-toi ! Laisse toi pousser la moustache et coupe tes cheveux » Bien plus qu’un simple travestissement, les bacchantes sont cool. Patti Boyd les trouve sympathiques. A son retour, McCartney qui doit retrouver Mal Evans à Bordeaux avant de s’envoler vers l’Espagne, décide d’adopter lui aussi la moustache afin de voyager incognito. Suivront ensuite Lennon et Starr. Le monde les découvre sous leur nouvel aspect à l’émission « Top of the Pops » le 16 février 1967 lors de la diffusion des clips Strawberry Fields Forever/ Penny Lane tournés quelques jours plus tôt. L’impact culturel sur la jeune génération que va entraîner cette pilosité faciale dépasse l’entendement, tant le port de favoris est alors considéré comme ringard et l’attribut des seniors. Désormais, porter la moustache comme un Beatle est cool et tendance.
Dernier détail et non des moindres, Lennon est désormais affublé de ses fameuses petites lunettes rondes qui deviendront aussi célèbres que leur propriétaire. John est myope comme une taupe depuis des années mais s’est toujours refusé de porter des verres, ne trouvant pas cela très rock & roll. Son infirmité l’handicapait tellement qu’il ne distinguait guère plus loin que le second rang lors des concerts. La rupture avec le personnage Beatle est forte et volontaire. Pour le coup, John semble avoir pris quinze ans de plus.
Le collage photographique inclut pas moins de 61 personnalités, sous forme de statues ou de panneaux cartonnés. L’élaboration en patchwork de la photo garantit son éclectisme. John et Paul suggèrent les auteurs (HG Wells, Aldous Huxley, Dylan Thomas, Lewis Carroll), Robert Fraser les artistes contemporains (Larry Bell, Richard Lindner) et Peter Blake ajoute quelques-uns de ses favoris (Tony Curtis, WC Fields). George voulait uniquement la présence de sombres gourous indiens alors que Ringo, peu farouche, clama que le choix des autres lui conviendrait bien. Dion et Bob Dylan sont les seuls représentants du rock & roll, aucune trace de Chuck Berry, Buddy Holly ou Elvis. Lennon désirait inclure trois noms supplémentaires qui furent refusés. Jésus (en raison des problèmes qu’il avait eu l’année précédente en affirmant : « Nous sommes plus populaires que le Christ »), Adolf Hitler (exclu par Parlophone pour des questions de goût même s’il est bel et bien présent sur la pochette, caché derrière les Beatles et visible sur certains plans) et Gandhi (refusé par EMI de peur de perdre le marché indien).
Lockwood, patron de EMI, terrorisé de voir toutes les personnalités encore vivantes ou leurs proches porter plainte, informe les Beatles que 50 millions de livres seront nécessaires pour se protéger contre toute action légale. Et que ce sont eux qui devront régler la note. Il est donc jugé plus approprié de contacter directement les figurants pour demander leur aval. Wendy Hanson, secrétaire de Brian Epstein, passe des jours entiers au téléphone à réaliser ce travail colossal. Fred Astaire est flatté, Mae West veut savoir ce qu’elle fait dans ce club des cœurs solitaires, même si une lettre signée par les quatre Beatles la convainc, et Shirley Temple demande à écouter l’album achevé avant de donner son consentement. Leo Gorcey est définitivement écarté après avoir exigé un paiement de 500 livres.
Après la claque infligée par le recto, la deuxième révolution est dans la présence des paroles imprimées au verso (du jamais vu à l’époque) ainsi que la double pochette (malgré que Beatles for Sale en fut une et que Bob Dylan et son Blonde on Blonde l’ait déjà fait), Sgt. Pepper’s devant au départ contenir deux vinyles et les commandes aux imprimeurs étant déjà passées. L’album s’ouvre donc sur une photo de famille des Beatles, toujours en costumes, souriants et pupilles brillantes (la fatigue, probablement..). Toujours dans un arc-en-ciel détonant de couleur pastel. Le packaging contient aussi une planche d’accessoires cartonnée à découper afin que l’auditeur puisse lui aussi se déguiser en membre du club. Elle est composée d’une fausse moustache, d’une carte postale à l’effigie du Sergent Poivre, deux écussons, deux badges et une affiche du groupe. Les Beatles étaient désireux d’ajouter une foule d’accessoires tels des pin’s, crayons de couleurs, goodies en plastique voire même des confiseries mais face au coût exponentiel d’une telle opération marketing, ils durent renoncer.
C’est le DJ américain Russ Gibb qui, le 12 octobre 1969, lancera à l’antenne l’une des théories du complot les plus populaires de l’histoire du rock. Paul McCartney est mort et enterré. Et ce, depuis plus de trois ans déjà. Outre les indices qui pullulent sur la pochette de Abbey Road, c’est celle de Sgt. Pepper’s qui sera par la suite décortiquée et observée à la loupe.
Paul aurait eu un accident de la circulation à l’été 1966 qui lui aurait coûté la vie. Pas complètement faux. Le bassiste a bien subi une chute en cyclomoteur le 26 décembre 1965 qui lui a valu une plaie de 12 cm à la lèvre et une dent en moins. On peut le voir dans le clip de Rain filmé le 19 mai 1966. Le port de la moustache serait alors un moyen de dissimuler la présence d’un sosie. La (trop) longue attente entre Revolver et Sgt. Pepper’s (les Beatles étaient habitués à pondre deux LP par an) serait alors expliquée par la recherche d’un remplaçant idoine.
Dès la sortie du 45 tours Penny Lane/Strawberry Fields Forever, on pouvait entendre dans ce dernier morceau John murmurer à 3 :57 ‘I burried Paul’ (‘J’ai enterré Paul’). En réalité ‘Cranberry Sauce’ (‘sauce aux canneberges’), très distinctif sur les enregistrements publiés sur The Beatles Anthology 2.
Sur l’œuvre d’art de Peter Blake, outre les allures de procession funéraire évoquées plus haut, McCartney est le seul à tenir un instrument de couleur noire. Sous le parterre de jacinthes rouges ‘BEATLES’, se trouve une basse jaune de gaucher, instrument de prédilection de Paul. D’autres d’ailleurs, voient ici son prénom inscrit. La main ouverte de Stephen Crane se retrouve au sommet de sa tête, considéré comme le geste symbolique du passage au paradis dans la culture celte. La poupée située en bas à droite est censée représenter sa copine Jane Asher, elle aussi décédée dans l’accident. Elle tient dans sa main un modèle réduit d’Aston Martin, le véhicule du drame et dont le Beatle était bel et bien propriétaire. Fait troublant : Jayne Mansfield, présente sur la pochette, trouvera la mort quelques jours après la sortie du disque dans… un violent accident de voiture, lui broyant la boîte crânienne. Tout comme Bob Dylan, qui avait frôlé la mort en juillet 1966 à Woodstock au guidon de sa Triumph.
La photo intérieure du disque permet de distinguer sur le bras gauche de McCartney, un écusson portant les lettres ‘OPD’ signifiant ‘Officialy Pronounced Dead’ (‘Officiellement Déclaré Mort’) mais il s’agit en réalité de ‘OPP’ pour ‘Ontario Provincial Police’.
Au verso de la pochette, tous les Beatles font face à l’objectif sauf Paul qui est étrangement de dos. De plus, le doigt de Harrison pointe le vers suivant de She’s Leaving Home : ‘Wesneday morning at five o’clock as the day begins’, qui serait le jour et l’heure du décès.
Enfin, les paroles de A Day in the Life sont troublantes à la première écoute. ‘I read the news today, oh boy’ (‘J’ai lu les nouvelles aujourd’hui’) {…} ‘And thought the news was rather sad’ (‘Et les ai trouvé bien tristes’) {…} ‘He blew his mind out in a car, He didn’t notice that the lights have changed, A crowd of people stood and stared, They’d seen his face before’ (Il s’est planté en voiture, Il n’avait pas remarqué le feu rouge, Une bande de curieux s’est attroupée, Ils l’avaient déjà vu quelque part’). Tout porte à croire que Lennon parle de son ami défunt. Il est en fait question de Tara Browne, héritier des brasseries Guinness et proche du groupe, qui trouva la mort à Londres le 17 décembre 1966 au volant de sa Lotus Elan. Le rapport du légiste paru dans le Daily Mail le mois suivant inspira les paroles de la chanson.
« Faites confiance aux Beatles pour ce qui est d’innover ! Après une seule écoute, je n‘aimerais pas dire s’il s’agit ou non de leur meilleur disque à ce jour. Je doute qu’il mérite les cinq mois consacrés à son élaboration. Mais c’est un très bon LP qui se vendra comme des petits pains. Personne ne peut nier que les Beatles nous offrent un nouveau divertissement musical plaisant à l’oreille et qui fera travailler un peu la cervelle. »
Allen Evans, NME, 20 mai 1967
« Un LP qui possède beaucoup de très grands moments, semble valoir la peine de s’être fait attendre et qui contient le genre de musique populaire stimulant nos neurones ainsi que le centre du plaisir. Emballé dans une belle pochette en couleur, avec les paroles et une page de découpages comprenant le portrait du Sgt. Pepper et ses trois gallons ! Pince-sans-rire et intelligent. Pas TROP intelligent, vous comprenez, mais, une fois ou deux, pile à la limite. »
Peter Jones, Record Mirror, 27 mai 1967
« Quelles que soient les influences des Beatles, les gars ont produit un nouveau chapitre de divertissement et de création si solide et inspiré qu’il devrait sans problème faire tourner au ralenti l’industrie de la pop anglaise pendant encore six mois. Plusieurs morceaux, parmi les treize constituants l’album, sont déjà repris par d’autres artistes… Le LP se présente comme un faux ‘live’ avec des rires et des applaudissements surgissant aux moments les plus inattendus, mais l’effet est employé avec subtilité et ne gâche pas le contenu musical. »
Chris Welch, Melody Maker, 3 juin 1967
- Mama Cass Elliot, la chanteuse pondéralement conséquente du groupe pop californien The Mamas & The Papas résidait à l’époque dans un appartement à Chelsea. Un dimanche matin de mai 1967, aux premières heures du jour, les Beatles à peine sortis des studios Abbey Road se rendent chez elle, un acétate de « Sgt. Pepper’s » sous le bras. La première écoute en public, devant les journalistes, a lieu quelques heures plus tard. Par ce matin printanier et ensoleillé, les baffles crépitent doucement la nouvelle création des quatre anglais dans le ciel londonien. Les fenêtres des appartements voisins s’allument alors tour à tour, mi-amusés mi-surpris, par ce réveil musical.
De retour à San Francisco en plein ‘Été de l’Amour’, Mama Cass racontera par la suite qu’il suffisait de descendre les célèbres rues en pente de Height-Ashbury pour entendre l’album de bout en bout émaner des appartements.
- Brian Wilson, le cerveau des Beach Boys, avait été profondément marqué par Rubber Soul (1966) et ses harmonies vocales qui ne sont pas sans rappeler celles de son groupe. Poussant son génie créatif à son paroxysme, le groupe sortit son chef d’oeuvre Pet Sounds le 16 mai 1966 (2ème des « 500 Greatest Albums of All Time » de Rolling Stone derrière… Sgt. Pepper’s). McCartney, toujours à l’affut de la moindre inspiration artistique, puisa énormément dans cet enregistrement pour ses compositions de Revolver (Here, There & Everywhere en est l’exemple le plus frappant). Les deux auteurs –compositeurs se livrant une véritable bataille musicale à qui pondra la plus belle symphonie de poche, Wilson commença à plancher sur ce qui devait être l’album Smile. Projet qui ne verra jamais le jour (l’album jouira finalement d’une sortie en… 2011) pour la simple raison que Wilson, au crépuscule de sa santé mentale, brûlera toutes les bandes dans un accès de folie après avoir entendu Sgt. Pepper’s. Une chanson sera quand même sauvée des eaux et verra le jour en 45 tours le 10 octobre 1966 Good Vibrations, véritable bijou pop symphonique. Nourrissant nulle rancune mutuelle, McCartney de passage aux Etats-Unis, donnera un coup de main aux Beach Boys le 10 avril 1967 sur la chanson Vegetables. C’est lui qu’on entend couper des légumes sur l’enregistrement.
- De nombreux groupes ou artistes reprirent la chanson titre Sgt. Pepper’s comme Bill Cosby, Bee Gees, Peter Frampton, Bryan Adams ou Stereophonics. Mais la plus mémorable et significative reste la version de Jimi Hendrix le 4 juin 1967, au Saville Theatre de Londres, seulement trois jours après la sortie du LP. Véritable prouesse technique d’assimilation, le Voodoo Child ouvre son set londonien avec ce titre sans même l’avoir répété durant les balances. McCartney et Harrison sont les deux seuls Beatles présents dans la salle. Le premier se dira très honoré et abasourdi d’un tel égard, malgré que Jimi fût un peu réticent et stressé à l’idée de jouer son morceau devant lui, par peur de le vexer.
John et Paul furent les premiers Beatles à découvrir Hendrix, le 25 novembre 1966 à leur repère du Bag O’Nails. Ils furent tellement secoués que Paul, en voyage aux Etats-Unis le 9 avril suivant, le recommande chaudement aux organisateurs du festival pop de Monterey qui doit se tenir du 16 au 18 juin.
- Même si l’album était une véritable révolution sonore et transgressait pas mal de codes régissant les 33 tours à l’époque, il fut enregistré sur du matériel déjà vieillissant pour un studio comme Abbey Road. Dont un fameux Studer J-37 quatre pistes. Autant dire que l’erreur n’était pas permise, au risque de perdre tout ce qui avait été gravé sur bandes. Loin, très loin, des techniques d’enregistrement actuelles.
- Le joyau brut A Day in the Life qui clôt l’album nécessita un orchestre composé de 40 musiciens, membres de l’Orchestre Philarmonique Royal et de l’Orchestre Symphonique de Londres. La célèbre montée symphonique part de la note la plus basse de leurs instruments pour atteindre la plus aigüe, sur demande de McCartney. Un procédé particulièrement ingénieux mis au point par George Martin et l’ingénieur Ken Townshend permit de faire tourner simultanément deux magnétophones 4 pistes, ce qui donne une équivalence finale de 160 musiciens sur l’enregistrement. Un travail de trente-quatre heures auront été nécessaires au total (le LP Please Please Me avait été mis en boîte en moins de dix heures) rien que pour ce morceau. De nombreux invités et amis dont les Rolling Stones, Marianne Faithfull et Donovan sont présents au Studio 1 d’Abbey Road lors de la session donnant l’impression d’une grande fête organisée. Les musiciens sont tous munis de faux nez en plastique, grandes oreilles et autres accessoires de déguisement ce qui rajoute à l’esprit carnavalesque et ubuesque dans l’esprit de l’album. Le clip vidéo ci-dessous l’atteste.
- Autres particularités notables relatives à la clôture de l’album : sur les premiers pressages, après la note apocalyptique de piano durant 47 secondes (et enregistrée sur tous les pianos disponibles d’Abbey Road), un sillon caché ou ‘ run-out groove’ était présent. Enregistrée le 21 avril, cette étrange ‘bonus track’ contient des bandes à l’envers et un sifflement de 20khZ inaudible pour l’homme, mais dont Lennon espère qu’il fera aboyer les chiens. Cette piste a aussi le don de tourner en boucle, revenant sur elle-même, bloquant ainsi le bras de lecture des platines.
- Une vente aux enchères eut lieu à Dallas le 30 mars 2013. Le clou de cette vente était un exemplaire de Sgt Pepper’s, édition originale du 1er juin 1967 mais surtout dédicacée par les quatre Beatles. La galette trouva acquéreur pour la modique somme de 223.000 euros.
- Un autre groupe mythique se trouvait dans les studios n°3 (les Beatles squattant les deux premiers) : Pink Floyd, mené par le regretté Syd Barrett, peaufinait son premier LP The Piper at the Gates of Dawn. Les Beatles prenant leur temps avec leur nouvelle œuvre, EMI pensait que c’était là les nouvelles façons d’enregistrer un album. De ce fait, le groupe de Cambridge bénéficia de trois mois (du 21 février au 21 mai) pour accoucher de leur LP. La proximité des studios leur permit de laisser traîner les oreilles sur ce qu’il se passait du côté des Fab Four. Ils assistèrent d’ailleurs aux sessions de Lovely Rita (les 23 et 24 février vraisemblablement) qui a pas mal de similitudes avec leur futur Pow R. Toc H. Lorsque le Floyd croise enfin les Beatles, le batteur Nick Mason dira : ‘C’était un peu comme rencontrer la famille royale.’
- Pour la première fois de leur carrière, les Beatles durent faire face à la censure sur plusieurs morceaux de l’album. Tout d’abord le vers ‘I’d love to turn you on’ (‘J’aimerais te brancher/t’exciter’) de « A Day in the Life » qui fit scandale pour sa provocation et fut banni des ondes britanniques. « Fixin’ a Hole » fut considéré comme une allusion à l’héroïne et à un éventuel shoot (alors que Paul parlait seulement de réparer un trou dans la toiture de sa nouvelle propriété écossaise). Il est aussi question de drogues dans « Being for the Benefit of Mr. Kite » avec le vers ‘Henry the Horse’, ce dernier mot signifiant héro’ en argot. Plus tard, les autorités compétentes se rendirent compte que « Lucy in the Sky with Diamonds » donnait les initiales LSD. Ce à quoi Lennon répondra : « Je pensais que ça faisait LITSWD. »
- Les Beatles n’avaient pas pour habitude de prendre de LSD durant les sessions d’enregistrement. Trop contre-productif selon eux. Il leur arrivait de fumer un peu d’herbe, c’est tout. Par contre ils carburaient pas mal aux stimulants comme les amphétamines afin de tenir le choc lorsque le travail durait tard dans la nuit. Lorsque George Martin s’inquiéta que l’album parlait ‘un peu trop de drogues’, Harrison lui confessa qu’ils lui en avaient souvent glissé dans son café à son insu afin qu’il tienne le coup. Lennon, quant à lui, se promenait souvent avec une boîte en argent renfermant sa ‘pharmacie personnelle’. Lors de l’enregistrement des parties vocales de « Getting Better » la nuit du 23 mars 1967, il commence à sentir les effets de l’acide qu’il a accidentellement avalé, s’étant trompé de pilule. Martin, voyant qu’il n’est pas dans son assiette, décide de lui faire prendre l’air. Pour éviter la foule de fans qui attend jour et nuit devant les portes d’Abbey Road, le producteur emmène John sur les toits des studios. Ce dernier commence à s’approcher dangereusement des vingt-sept mètres de vide sans que George ne se doute de quoi que ce soit. Après quelques minutes, ils décident de descendre retrouver les autres. Ce n’est que par la suite qu’il apprendra que le guitariste était sous les effets du LSD. « C’était une magnifique nuit étoilée, très agréable. Lennon était en extase devant la voute stellaire, j’imagine qu’elles devaient être vraiment spéciales pour lui {rires} ». Lorsque Paul se rend compte de la situation, il décide de raccompagner son ami chez lui… et de prendre lui-aussi un acide afin de ne pas le laisser seul dans son trip. Solidarité toute admirable.
Sources :
The Beatles (2000). The Beatles Anthology. Weidenfeld & Nicolson. ISBN 978-0-304-35605-8.
Larkin, Colin (1994). Guinness Book of Top 1000 Albums (1 ed.). Gullane Children's Books. ISBN 978-0-85112-786-6.
"The Making of Sgt. Pepper: Rock's Big Bang". Christopher Scapelliti (June 2007). Guitar World.
[1968]. The Beatles (Revised and updated ed.). Hunter Davies. W.W. Norton. ISBN 978-0-393-33874-4.
A Hard Day's Write: The Stories Behind Every Beatles Song. Steve Turner (1994) updated in 1999, 2005 and 2009
The Beatles: A Diary: An Intimate Day by Day History. Barry Miles. Omnibus Press. 1998. ISBN 978-0-7119-6315-3.
www.thebeatles.com
https://www.beatlesbible.com/
Janvier 2017.
Jairo de Matos Veloso (vendredi, 21. octobre 2022 18:44)
De um tempo, em que a música era a linguagem universal e, os povos se entendiam através dela