Elvis Presley disait de lui qu’il était le « vrai King du rock & roll ». Et pour cause, Antoine Dominique Domino sort son premier single dès 1949 : The Fat Man. Ce vieux standard de blues que le jeune homme a transfiguré va devenir un des morceaux fondateurs du rock. Et le premier disque du genre à dépasser le million de copies vendues. Lui le gamin joufflu de La Nouvelle-Orléans qui jouait dans les bars de Louisiane pour trois dollars par semaine est propulsé au rang d’idole de la nouvelle génération. C’est dans les plantations de coton à la frontière du Mississippi que grandit le cadet d’une famille de huit enfants. Sa silhouette rondouillarde lui vaut de la part d’un de ses amis le sobriquet de « Fats » en clin d’œil au jazzman de Harlem Fats Waller. Il le gardera toute sa vie. Au point donc de se présenter non sans dérision au public américain avec le titre The Fat Man (une face B à l’origine) après que Dave Batholomew d’Imperial Records soit venu le débaucher du club Hideaway. Avec l’aide de son agent, Fats compose, arrange et métamorphose des morceaux originaux ou traditionnels qui finissent d’asseoir sa notoriété : Goin’ Home, Going to the River, The Girl I Love, Don’t Leave Me This Way. Le gros Domino est au fait de sa gloire mais n’est pas encore parvenu à franchir la barrière qui sépare les artistes afro-américains cantonnés au classement R&B de la sacro-sainte terre pop que représente le Billboard Hot 100. C’est chose faite avec son single de 1955 Ain’t That a Shame (la première chanson que John Lennon apprendra à jouer) qui se classe dixième. La ségrégation qui ne sera abolie qu’en 1964 par Lyndon Johnson fait encore des ravages mais Fats parvient bien avant Chuck Berry ou Little Richard à toucher tous les foyers américains blancs ou noirs. Au point de pousser une compagnie comme Atlantic Records à encourager ses artistes, Ray Charles ou Screamin’ Jay Hawkins à sonner comme Domino, devenu aussi populaire que Louis Armstrong. D’autant plus qu’une meute de jeunes loups aux longs crocs commence à pousser derrière, de Buddy Holly à Eddie Cochran sans oublier Elvis Presley qui déclarera son admiration pour le pianiste. Cette reconnaissance de la nouvelle vague l’amènera à tourner dans tout le pays aux côtés des Crickets, les Drifters ou les Everly Brothers. Dans cette deuxième moitié des années cinquante qui voit le rock & roll bouleverser les codes et les mœurs des Etats-Unis, Fats Domino domine outrageusement les charts. Si la guitare électrique est devenue l’instrument de prédilection de tous ces nouveaux artistes, lui reste fidèle à son piano. C’est à l’été 1956, alors que les auteurs compositeurs rivalisent d’inventivité, que le louisianais décide de dépoussiérer Blueberry Hill, une chanson de 1940 initialement interprétée par Gene Autry pour le western The Singing Hill. Larry Stock, son parolier, confessa par la suite qu’un important éditeur (qui dut avoir de profonds regrets) refusa le titre sous prétexte que les myrtilles ne poussaient pas sur les collines. Elle fut reprise de façon orchestrale par Glenn Miller, Russ Morgan et Louis Armstrong. Il la remodèle à sa sauce Rythm & Blues pour cuisiner une ballade intemporelle qu’il grave à Los Angeles. Mais quand il la propose à Bartholomew, ce dernier est sceptique. Il la trouve dépassée et trop de fois enregistrée. Mais son triolet si caractéristique au piano et l’accent cajun dans son chant finissent par donner raison à Domino. Il signe ici l’Everest de sa carrière qui verra encore de jolis sommets comme I’m Walkin’ (1957) ou Valley of Tears (1957) avant d’être immortalisé avec Gene Vincent, Eddie Cochran et Little Richard sur grand écran dans le classique The Girl Can’t Help it (La Blonde et Moi). La fin des années cinquante sonnera l’heure d’une longue traversée du désert pour The Fat Man qui verra la « British Invasion » des années soixante lui succéder sans pour autant omettre de lui rendre mérite et honneur. Quand les Beatles abandonneront leurs errances psychédéliques pour un retour aux sources du rock, Paul McCartney composera Lady Madonna (1968) comme un hommage à Fats Domino avec Blueberry Hill en tête. Ray Manzarek des Doors avouera même que la ligne de base de Light My Fire (1967) était inspirée de Blueberry Hill. Il passe les décennies suivantes à dilapider son immense fortune entre train de vie démentiel et excès en tout genre. Mais Domino ne s’effondre pas. Même quand l’ouragan Katrina déferle sur la Nouvelle-Orléans en 2005 et rase son manoir. La presse mondiale le déclare mort mais Fats Domino réapparait comme par enchantement, toujours debout. Il faudra attendre sa 89ème année en 2017 pour que son piano droit ne cesse de jouer et que sa voix enrouée se taise.
Blueberry Hill atteint la deuxième marche du Billboard Hot 100 pour trois semaines et reste vingt-sept semaines dans les charts. Le single est numéro un de la catégorie R&B pendant huit semaines non consécutives. En Angleterre, il grimpe en sixième position et campe six semaines dans le Top Ten. Dans le reste de l’Europe, il est numéro un en Belgique et numéro deux au Pays-Bas. Le titre s’écoulera mondialement à plus de cinq millions de copies.
La version de Fats Domino a été reprise par Elvis Presley, Ricky Nelson, Bill Haley, Cliff Richard, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Slim Harpo, Led Zeppelin, The Beach Boys, Elton John, Nat King Cole ou encore Brenda Lee. En France, Johnny Hallyday reprend le morceau en anglais dès 1962 sur son album Sings America’s Rockin’ Hits. Il faut ensuite attendre 1977 pour qu’Eddy Mitchell signe une adaptation française sous le titre La colline de Blueberry Hill sur l’album La dernière séance. A noter que lors d’un gala de charité, le président russe Vladimir Poutine joua le morceau (véridique, vidéo trouvable sur le web).
I found my thrill on Blueberry Hill
On Blueberry Hill, when I found you
The moon stood still on Blueberry Hill
And lingered until my dreams came true
The wind in the willow played
Love's sweet melody
But all of those vows you made
Were never to be
Though we're apart, you're part of me still
For you were my thrill on Blueberry Hill
The wind in the willow played
Love's sweet melody
But all of those vows we made
Were never to be
Though we're apart, you're part of me still
For you were my thrill on Blueberry Hill